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    Réflexions sur Davos : la fin du « Business as usual »

    Réflexions sur Davos : la fin du « Business as usual »
    Thomas Hohne-Sparborth - Head of Sustainability Research de Lombard Odier Investment Managers

    Thomas Hohne-Sparborth

    Head of Sustainability Research de Lombard Odier Investment Managers

    Article publié dans The Business Times, le 24 janvier 2024

    À l’heure où les avions quittent la piste et que les trains ramènent les participants chez eux dans leurs beaux habits d’hiver, ce sont les skieurs qui peuplent à nouveau les pistes de Davos, en Suisse. Une nouvelle édition du Forum économique mondial (WEF) s'achève. Qu’avons-nous appris ?

    Le monde ne semble plus être ce qu’il était il y a un an. Juste avant le sommet de Davos, le WEF avait publié son rapport annuel sur les risques mondiaux, une enquête menée auprès d’environ 1’500 leaders internationaux des entreprises, du monde universitaire, des gouvernements et d’autres domaines. L’année dernière, la crise du coût de la vie était la principale inquiétude à court terme, en parallèle avec les risques liés à la nature et les conflits géoéconomiques. Mais cette année, le ton a changé. La « mésinformation » et la « désinformation » sont les plus grandes craintes, suivies de près par la « polarisation sociétale ».

    Lors d’une année électorale où quelque quatre milliards de personnes seront appelées à voter, les conversations entendues à Davos ont pris une tournure résolument géopolitique. Parmi les premières nations à ouvrir le bal des élections, Taïwan a déjà élu le parti au pouvoir pour un troisième mandat. Dans le courant de l’année, ce sont les élections américaines qui occuperont le devant de la scène, mais les marchés sont encore indécis quant au résultat. En revanche, à Davos, les conflits géopolitiques se sont immiscés dans les discussions de fin de soirée.

    …la planète va inévitablement dépasser l’objectif clé de 1,5 °C, le meilleur scénario étant une hausse d’au moins 1,7 °C ou 1,8 °C au cours des décennies à venir

    Une seule chose demeure inchangée. Si la perception des risques à court terme a évolué, les risques liés à la nature arrivent toujours en tête des perspectives à dix ans. Les événements météorologiques extrêmes, les changements critiques qui se jouent dans les systèmes terrestres et la perte de biodiversité demeurent les principales préoccupations. Et pour cause. Une fois de plus, les records de chaleur ont été battus l’année dernière. Lors d’un dîner sur le thème de la nature organisé par Lombard Odier pour donner le coup d’envoi à la semaine de Davos, le professeur Johan Rockström a rappelé à l’auditoire que la planète allait inévitablement dépasser l’objectif clé de 1,5 °C, le meilleur scénario étant une hausse d’au moins 1,7 °C ou 1,8 °C au cours des décennies à venir avant que nous ne puissions ne serait-ce qu’espérer redescendre à 1,5 °C.

     

    Renforcer les stratégies de durabilité

    Sur la Promenade, la route principale qui traverse Davos et qui ressemble de plus en plus à un salon commercial international, les grands panneaux d’affichage consacrés à la durabilité ont quasiment disparu. Les vagues déclarations en faveur de la durabilité n’intéressent plus personne. Au lieu de cela, les débats sur la transition vers le « net-zéro » et l’économie respectueuse de la nature ont pris vie lors de tables rondes et de conversations informelles.

    Lire aussi: Tout miser sur le « net-zéro » – entretien avec Thomas Hohne-Sparborth

    La vertu ostentatoire n’a plus lieu d’être. Désormais, le but du jeu est de savoir qui offre la bonne stratégie et les partenariats appropriés pour adopter rapidement des modèles d’affaires plus propres, plus écologiques et plus efficaces, qui seront synonymes de rupture dans des secteurs entiers. Un panneau isolé qui proclame encore que « la durabilité est à portée de main ! » semble étrangement déplacé. Dans les salles de réunion improvisées, il apparaît clairement que ces transitions ne seront pas une tâche facile. Mais elles pourraient permettre à ceux dont la stratégie est pertinente de progresser à grands pas.

    La vertu ostentatoire n’a plus lieu d’être. Désormais, le but du jeu est de savoir qui offre la bonne stratégie et les partenariats appropriés pour adopter rapidement des modèles d’affaires plus propres, plus écologiques et plus efficaces

    Dehors, les panneaux d’affichage n’ont pas complètement disparu. Mais les engagements envers le « net-zéro » ont cédé le pas à de nouvelles formules vantant les avancées de telle ou telle entreprise en matière d’intelligence artificielle. Il y a un an, l’émergence soudaine de l’intelligence artificielle générative (IA générative) résonnait déjà dans les rues enneigées de Davos. En 2024, l’intelligence artificielle et l’analyse de ses nombreux effets de rupture se sont imposés au cœur de tous les débats. Il est sans doute judicieux pour les priorités publicitaires de passer de la durabilité à l’intelligence artificielle : la première représente un défi, tandis que l’optimisation et l’innovation numériques pourraient constituer le noyau central de la solution.

    La nature désormais au centre de l’attention

    Au-delà de l’intelligence artificielle, les intérieurs boisés des chalets et des salles de réunion de Davos ont servi de cadre idéal pour parler de l’autre sujet à l’ordre du jour du WEF : la nature. Entre les sessions consacrées aux risques menaçant le système alimentaire mondial et un « Dîner en faveur de la nature » très prisé, les participants au WEF ont voulu confronter une notion inévitable et de plus en plus claire : quels que soient les défis et les opportunités auxquels l’économie mondiale fait face, sa survie dépend des services écosystémiques offerts par le capital naturel, l’actif le plus productif au monde.

    Lire aussi: Le rôle du Chief Nature Officer

    Les solutions commencent elles aussi à émerger. Reconnaître la valeur soi-disant cachée de la nature n’est que le début. Il faudra ensuite encourager les marchés à évaluer correctement la nature et à allouer des capitaux à sa préservation et à sa restauration, une tâche qui sera bien plus difficile. Peu avant Davos, le Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives au climat (TCFD, Task-Force on Climate Related Financial Disclosure) a annoncé qu’un premier groupe de 320 entreprises avait signé son cadre tant attendu, qui vise à encourager la déclaration des risques et opportunités liés à la nature. Lors d’autres tables rondes, les institutions financières désireuses de s’engager en faveur de la nature ont reconnu que, pour allouer des capitaux à grande échelle aux solutions fondées sur la nature, il fallait repenser l’allocation d’actifs. La nature doit devenir une nouvelle classe d’actifs.

    L’adoption de modèles axés non plus sur l’extraction, mais sur l’agroforesterie, ainsi que le réensauvagement et le raccourcissement des chaînes de valeur vers les consommateurs, pourraient faire partie de la solution, afin de commencer à réorienter les capitaux vers la nature à grande échelle et avec rapidité

    Lors du dîner sur le thème de la nature organisé par Lombard Odier, les orateurs et l’auditoire ont exploré différentes façons de joindre le geste à la parole, soulignant les opportunités d’investissement nées de la création de chaînes de valeur régénératrices. Le café en est un bon exemple, chiffré à USD 225 milliards. Sa production est dominée par des monocultures tropicales, qui se caractérisent souvent par des rendements en baisse et des sols dégradés, et jusqu’à la moitié de cette production est menacée par le changement climatique. L’adoption de modèles axés non plus sur l’extraction, mais sur l’agroforesterie, ainsi que le réensauvagement et le raccourcissement des chaînes de valeur vers les consommateurs, pourraient faire partie de la solution, afin de commencer à réorienter les capitaux vers la nature à grande échelle et avec rapidité.

     

    L’IA pour accélérer la transition

    Au bout du compte, le sommet de Davos 2024 a-t-il changé la face du monde ? Ce serait sans doute trop demander. Le monde évolue rapidement et le milieu des affaires réuni à Davos peine peut-être à suivre son rythme. Mais, sachant que les inquiétudes quant à la mésinformation et la cohésion sociale surabondent, le thème de cette année, « Restaurer la confiance », semble bien choisi. Selon le Baromètre Edelman publié juste avant l’événement, la confiance accordée aux institutions et aux dirigeants est en baisse dans le monde entier. Mais aujourd’hui, les entreprises suscitent plus de confiance que les gouvernements. Compte tenu des tendances d’innovation et des nouveaux défis mondiaux qui attendent les dirigeants d’entreprises et les investisseurs, conserver cette confiance va s’avérer un exercice délicat.

    Lire aussi: Être une entreprise durable signifie être une entreprise responsable

    Pour les investisseurs, les enseignements sont nombreux. Les transitions vers une économie décarbonée montent en puissance. Les craintes connexes, concernant par exemple la sécurité énergétique, l’accessibilité économique de l’énergie et l’énergie propre, convergent vers la même solution : une accélération des investissements dans les nouveaux systèmes énergétiques. La transformation des chaînes de valeur, vers des alternatives plus régénératrices, encouragera les investissements dans les nouvelles technologies, les nouveaux modèles d’affaires et les solutions fondées sur la nature. L’intelligence artificielle donnera un coup de fouet à toutes ces transitions, habilitant les solutions qui surpassent les moyens existants en termes d’efficacité, d’impact environnemental et de rendement financier. La transition est en marche et les investisseurs présents à Davos semblent l’accueillir à bras ouverts. 

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