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    Relever le défi du plastique ?

    Relever le défi du plastique ?

    Sur 8,3 milliards de tonnes de plastique produites jusqu’à présent, 6,3 milliards ont été mises au rebut, et seuls 9% de ces déchets ont été recyclés. Comme il faut plus de 400 ans pour que le plastique se désintègre, presque tous les déchets non recyclés existent encore. 12% d’entre eux ont été incinérés et les 79% restants ont simplement été jetés1. Cela représente près de 5 milliards de tonnes de plastique, soit l’équivalent d’un film alimentaire suffisamment grand pour emballer la planète entière2. A l’heure actuelle, le recyclage ne couvre encore que 14%3 des déchets plastiques. Le reste est enterré, incinéré, envoyé dans des pays à revenu faible ou moyen, ou abandonné ce qui pollue les mers et la terre.

    Mais on assiste à l’émergence d’un nouveau secteur susceptible de transformer les déchets plastiques en ressources utiles. Cette industrie repose sur le recyclage chimique, un processus qui décompose le plastique en éléments chimiques susceptibles d’être utilisés pour faire de nouveaux produits. Un tel système théoriquement infini de transformation et de réutilisation s’appelle l’économie circulaire.

    A l’heure actuelle, le recyclage ne couvre encore que 14 des déchets plastiques. Le reste est enterré, incinéré, envoyé dans des pays à revenu faible ou moyen, ou abandonné ce qui pollue les mers et la terre

    Le problème des déchets plastiques est largement dû à la surproduction de produits en plastique, et notamment d’emballages à usage unique. Comme la production s’adapte à la demande des consommateurs, il est impératif que chacun modifie son comportement en consommant moins de plastique et en le réutilisant davantage. Ces solutions « en amont » se distinguent des solutions « en aval » comme le recyclage. Mais de telles transitions prennent du temps et nous ne pouvons pas espérer résoudre ce problème rapidement grâce au seul changement d’attitude des consommateurs. En effet, sur sa trajectoire actuelle, le volume de nouveaux déchets plastiques dans les océans triplerait au cours des 20 prochaines années4.

    Pour relever ce défi urgent, il est donc crucial de recycler davantage de plastique. Mais certaines matières plastiques sont difficiles à recycler à l’aide de méthodes mécaniques traditionnelles : d’où l’intérêt du recyclage chimique.

    Ce processus a aussi ses limites. Le recyclage chimique est une technologie récente qui demande beaucoup d’énergie et dont nous ne comprenons pas encore tous les avantages et inconvénients potentiels. De plus, une analyse menée par Pew Charitable Trusts laisse entendre que le recyclage chimique ne pourra récupérer que quelque 6% des déchets plastiques d’ici 20404.

    Si ce chiffre peut sembler très modeste, il signifie néanmoins que le recyclage chimique permettrait de traiter plus de 25 millions de tonnes de déchets plastiques par an. Loin d’être la solution unique au problème du plastique, le recyclage chimique pourrait offrir une importante alternative aux décharges et usines d’incinération où aboutit la moitié des déchets plastiques de l’Union européenne5. Ses partisans avancent que le processus peut élargir la portée du recyclage à des plastiques non adaptés aux méthodes mécaniques, tels que les polymères mixtes, les plastiques souillés de faible valeur ou les pigments. Le recyclage chimique permet également de produire des matériaux de meilleure qualité que les méthodes existantes.

    La pollution plastique ne se limite pas aux objets courants comme les sacs ou les bouteilles. De nombreux autres produits tels que les gobelets, les lingettes ou les paillettes engendrent d’importants volumes de déchets plastiques. Au Royaume-Uni, une jeune entreprise qui teste le recyclage chimique à des fins industrielles se concentre sur une source de déchets plastiques moins évidente : les pneus usagés, qui ont une teneur en plastique moyenne de 24%. Créée dans le pôle pétrochimique du Merseyside par deux amis d’université, Big Atom Advanced Recycling a construit une usine mécanique impressionnante où des lames d’acier déchiquettent des pneus à une cadence d’une tonne par heure, avant que soient triés la gomme, le métal et le textile qui les constituent. Big Atom estime que le recyclage chimique d’une tonne de gomme et de plastique pourrait éviter l’émission de deux tonnes de CO2.

    Le recyclage chimique permet également de produire des matériaux de meilleure qualité que les méthodes existantes

    Après avoir effectué des tests à petite échelle en laboratoire, Big Atom vient de s’équiper d’un grand réacteur qui désintégrera la gomme des pneus en hydrocarbures de base en la chauffant en l’absence d’oxygène, un processus thermochimique appelé pyrolyse. Un processus de distillation convertit ensuite ces hydrocarbures en produits utiles, allant de cires et d’huiles lourdes jusqu’aux gaz en passant par des essences plus légères, selon les durées et les températures appliquées6.

    Les fondateurs déclarent avoir conçu une méthode basée sur des températures plus basses pour économiser de l’énergie et utiliser une partie du gaz généré pour alimenter en électricité le réacteur. « C’est un processus chimique qui fait partie des compétences de base d’un ingénieur chimique, explique Toby Moss, l’un des co-fondateurs. Mon expérience dans le secteur des hydrocarbures nous a aidés à optimiser ce processus pour qu’il crée plus de valeur et soit plus efficace au niveau environnemental. »

    Il faut encore améliorer le processus mécanique qui pulvérise la vieille gomme et en sépare les composantes. « Pour que la pyrolyse fonctionne efficacement et que nous maîtrisions les produits dérivés, nous devons avoir un bon contrôle de ce que nous introduisons dans le réacteur », explique Alex Guslisty, co-fondateur.

    Le volet chimique du processus de recyclage de Big Atom est encore en cours de développement. Pour l’instant, la gomme issue d’anciens pneus est revendue pour être intégrée au revêtement de terrains de jeu ou de sport. Mais Toby Moss est convaincu qu’après des tests et ajustements finaux destinés à garantir la viabilité et l’efficacité du processus et du réacteur, l’entreprise pourra commencer le recyclage chimique à grande échelle d’ici à fin 2021. Big Atom pourra alors fournir aux raffineries des produits pétroliers réutilisables pour la fabrication de nouveaux produits, à la place de pétrole « vierge », une alternative économique et, surtout, respectueuse de l’environnement qui aidera à réduire les déchets plastiques et à limiter le volume total de plastique.

    …une alternative économique et, surtout, respectueuse de l’environnement qui aidera à réduire les déchets plastiques et à limiter le volume total de plastique

    « Nous avons besoin d’un plus grand nombre de sites qui testent cette technologie, d’une meilleure infrastructure dans le secteur du raffinage et d’une demande accrue pour les produits issus de l’économie circulaire, explique Alex Guslisty. C’est indispensable pour que ce marché décolle et pour que nous traitions tous nos déchets de gomme et de plastique ici-même, au Royaume-Uni, plutôt que de les envoyer à l’étranger. »

    Comme la plupart des pays développés, le Royaume-Uni produit davantage de déchets plastiques qu’il n’en traite et en envoie une grande partie à l’étranger. Pendant la période de 2010 à 2016, la Chine importait, à elle seule, 7 à 9 millions de tonnes de déchets plastiques par an7. Depuis que la Chine a interdit ces transactions en 2018, le problème s’est reporté sur des pays d’Asie du sud-est comme l’Indonésie, la Thaïlande ou le Vietnam8.

    Pour Adrian Griffiths, CEO et fondateur de Recycling Technologies, une autre jeune pousse britannique de recyclage chimique basée à Swindon, cette situation est tout simplement inadmissible. « On se voile la face si, dans une société moderne, on prétend recycler les déchets en les expédiant en bateau à l’étranger, s’indigne-t-il. Certes, ce plastique est en partie recyclé, mais malheureusement, la majorité ne l’est pas, ce qui ne fait que reporter le problème sur ces pays. Une société digne de ce nom devrait pouvoir gérer ses déchets au sein de ses propres frontières. »

    Depuis cette année, l’UE interdit l’exportation de déchets plastiques vers des pays qui n’ont pas les mêmes objectifs de soutenabilité ou ne disposent pas de capacités de recyclage à grande échelle9. Dans la mesure du possible, l’objectif est de garder les déchets plastiques dans l’UE et au sein du pays qui les génère pour éviter qu’ils finissent dans des décharges ou incinérateurs. Mais cela ne résout pas le problème du recyclage efficace de ces déchets.

    Face à ce défi, Adrian Griffiths a tiré parti de son expérience d’ingénieur automobile pour créer un équipement modulaire qui peut être transporté et assemblé en tout lieu. Grâce à un autre processus de pyrolyse, cette machine décompose les films et plastiques laminés, y compris les sachets de chips ou les pots de yogourt, et en dérive différents gaz, huiles et cires de pétrole.

    Depuis cette année, l’UE interdit l’exportation de déchets plastiques vers des pays qui n’ont pas les mêmes objectifs de soutenabilité ou ne disposent pas de capacités de recyclage à grande échelle

    Mis à part le fait que ces produits dérivés pourraient en partie servir de combustibles, le processus lui-même dégage d’importantes émissions de gaz à effet de serre. Mais Adrian Griffiths affirme que l’avenir du recyclage chimique repose sur la production de matières premières pour de nouveaux produits. « En fin de compte, notre intention est de réinjecter ces matériaux dans le secteur pétrochimique pour qu’ils servent à fabriquer plus de plastique, explique-t-il. Le monde doit perdre l’habitude d’incinérer tout ce qui contient du carbone, et nous voulons que le plastique issu du recyclage chimique ne soit pas uniquement utilisé comme combustible. »

    Après les balbutiements initiaux, le recours à grande échelle au recyclage chimique pourrait réduire le volume de déchets plastiques enterrés, incinérés ou dispersés dans les océans. Des géants de l’industrie chimique tels que BASF, Sabic et Total soutiennent déjà des initiatives de recyclage chimique. De leur côté, de nombreux investisseurs misent sur des start-up dans ce secteur émergent. Rien qu’aux Etats-Unis, USD 4,3 milliards ont été investis depuis 2017 dans des projets visant à convertir les déchets plastiques en nouveaux polymères ou en combustibles10. Parallèlement, de grandes marques de biens de consommation s’engagent à réduire radicalement la proportion de plastique vierge utilisé dans leurs emballages, au profit de plastique recyclé.

    Si nous exploitons la puissance de l’économie circulaire et encourageons un comportement des consommateurs plus responsable, la pollution plastique pourrait ne plus être qu’un mauvais souvenir

    Mais pour que le recyclage chimique ait une chance d’entamer la production annuelle de quelque 350 millions de tonnes de plastique11, il devra rester concurrentiel même quand les prix des hydrocarbures sont si bas que la production de plastique vierge est moins coûteuse. Des réglementations et taxes sur le plastique vierge, à l’instar de celles qu’a adoptées le gouvernement britannique l’an dernier12, inciteraient fortement les acteurs industriels à passer au plastique recyclé.

    Malgré son potentiel, le recyclage chimique ne fait pas l’unanimité. Alors que le secteur pétrochimique s’apprête à investir USD 400 milliards dans de nouvelles capacités au cours des cinq prochaines années13, certains observateurs estiment que ces nouveaux traitements des déchets détournent l’attention du véritable problème : la surproduction d’emballages, alimentée par la demande des consommateurs.

    Bien que les citoyens en soient de plus en plus conscients, la pollution plastique représente un défi urgent qu’on ne peut pas ignorer jusqu’à ce que les consommateurs aient enfin modifié leur comportement. Pour compléter les solutions en amont, nous devons donc intégrer des solutions en aval dans une approche à trois volets : réduction, réutilisation et recyclage. Si nous exploitons la puissance de l’économie circulaire et encourageons un comportement des consommateurs plus responsable, la pollution plastique pourrait ne plus être qu’un mauvais souvenir.

     

    1 Parker, L. (2018) ‘A whopping 91% of plastic isn’t recycled’, National Geographic. Disponible ici.
    2 Brooke, C. (2016) ‘Total amount of plastic on Earth now tops 5BILLION tonnes - enough to wrap the entire planet in clingfilm’, Mail Online. Disponible ici.
    3 OECD (2018) ‘Improving Plastics Management : Trends, policy responses, and the role of international co-operation and trade’. Disponible ici.
    4 Systemiq and The Pew Charitable Trusts (2020) ‘Breaking the Plastic Wave : A comprehensive assessment of pathways towards stopping ocean plastic pollution’. Disponible ici.
    5 Schneider, D. R. and Ragossnig, A. M. (2015) ‘Recycling and incineration, contradiction or coexistence?’, Waste Management & Research, vol. 33, no. 8, pp. 693–695.
    6 British Plastics Federation (n.d.) Chemical Recycling 101. Disponible ici.
    7 Ritchie, H. and Roser, M. (2018) ‘Plastic Pollution’, Our World in Data. Disponible ici.
    8 Parker, L. (2018) ‘China’s ban on trash imports shifts waste crisis to Southeast Asia’, National Geographic. Disponible ici.
    9 Commission européenne (2020) Plastic waste shipments : new EU rules on importing and exporting plastic waste. Disponible ici.
    10 Cookson, C. (2021) ‘Policies to Modernize Plastics Recycling End 2020 on a High Note’, American Chemistry Council. Disponible ici.
    11 Oxford Martin School, University of Oxford (n.d.) The Oxford Martin Programme on the Future of Plastics. Disponible ici.
    12 Tudball, M. (2020) ‘UK Government announces plans for £200/tonne plastic tax during Budget 2020’, ICIS. Disponible ici.
    13 Carbon Tracker Initiative (2020) The Future’s Not in Plastics : Why plastics demand won’t rescue the oil sector. Disponible ici.

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