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    Une conversation avec un expert économique sur les pays en développement

    Une conversation avec un expert économique sur les pays en développement
    Leonard Wantchekon - Professeur titulaire de sciences politiques et économiques à l'Université Princeton

    Leonard Wantchekon

    Professeur titulaire de sciences politiques et économiques à l'Université Princeton

    Le Professeur Wantchekon a publié une cinquantaine d'articles scientifiques dans des revues de premier plan, comme American Economic Review, American Political Science Review, Quarterly Journal of Economics sur des sujets aussi divers que « la malédiction des ressources naturelles », l'effet de long terme de la traite des esclaves, le clientélisme politique, l'éducation et la mobilité sociale, le rôle des infrastructures rurales dans la réduction de la pauvreté.


    Comment promouvoir efficacement le développement économique et social dans les pays pauvres ? Quels sont les leviers les plus efficaces ?

    C’est une question essentielle : la volonté de contribuer au développement économique est importante mais pas suffisante. Y parvenir de manière efficiente n’est pas évident. Nos travaux montrent que trois moyens existent :

    Le premier c’est la création d’infrastructures, à la fois énergétiques et de transport. Leur absence constitue le plus grand frein au développement, contribuant directement à la pauvreté et réduisant l’entrepreneuriat. Cela amoindrit ce que les gens peuvent tirer de leur esprit d’entreprise parce qu’ils n’ont pas les infrastructures qu’il faut pour faire les investissements productifs.

    Le deuxième élément est l’inclusion financière. L’accès au crédit, c’est LE problème dans les pays en développement : certains parlent même de répression financière. Vous avez une idée, vous commencez une affaire et il est presque impossible de la développer.

    Lorsque vous avez atteint un marché et que vous avez besoin de liquidités pour poursuivre, vous ne pouvez pas les obtenir. Vous êtes pratiquement obligé de vous affamer ou d’obtenir des prêts par des amis! Le développement du crédit permet non seulement aux détenteurs d’être de bons clients pour les entreprises mais aussi aux entrepreneurs d’investir et donc de résister aux aléas du marché.

    Egalement, le transfert d’argent est très difficile tant que les gens n’ont pas de compte en banque, même s’ils arrivent à faire marcher leur affaire. Heureusement, il y a en ce moment un effort dans ce sens, et la technologie mobile permet d’apporter des solutions à ces problèmes persistants.

    Le troisième élément est l’éducation. Des progrès spectaculaires ont été faits au niveau de l’école primaire. Il faut cependant les remettre en perspective. D’une part, ces progrès sont insuffisants, car très peu de gens ont accès au secondaire et au supérieur. D’autre part, leur portée est limitée car les savoirs transmis sont incomplets. On apprend aux gens à lire et à écrire, mais cela ne développe pas la créativité et l’esprit d’entreprise : les personnes ont trop tendance à attendre que les choses viennent. Il reste beaucoup à faire à ce niveau-là pour leur apprendre l’initiative et comment s’en sortir par eux-mêmes!

    [L’absence d’infrastructures] constitue le plus grand frein au développement, contribuant directement à la pauvreté et réduisant l’entrepreneuriat. Cela amoindrit ce que les gens peuvent tirer de leur esprit d’entreprise parce qu’ils n’ont pas les infrastructures qu’il faut pour faire les investissements productifs.

    Voit-on une amélioration de la situation des personnes bancarisées chaque année ?

    Oui, beaucoup de progrès ont été faits mais il reste encore un long chemin à parcourir. Dans certains pays, comme le Kenya et le Nigeria, il y a eu des avancées spectaculaires mais la pénétration reste très lente dans de nombreux pays d’Afrique.


    Quel est le rôle de l’investissement privé par rapport à l’investissement public dans le développement de ces trois sujets ? Quelle est la meilleure manière d’utiliser à bon escient les investissements privés ?

    Les investissements publics et privés sont toujours complémentaires, et ont chacun leur importance. Concernant le développement des infrastructures, l’investissement public est primordial. C’est pour cela que les banques de développement existent, comme la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement ou la Nouvelle Banque de Développement créée par les BRICS. Les initiatives sont nombreuses, ce qui est essentiel.

    Au niveau de l’accès au crédit et au financement, l’Impact Investment et autres formes de mises à disposition de ressources financières pour les entreprises sont fondamentales. Les gens sont freinés par les énormes contraintes financières : ils ont des idées qu’ils savent réalistes et pour lesquelles il existe un marché et des gens prêts à devenir leurs partenaires pour les réaliser. Cependant, le système bancaire pose des conditions extrêmement fortes qui rendent l’accès au financement très difficile, ce qui est une différence majeure avec les pays développés comme la France et les Etats-Unis.

    Pour avoir une éducation de qualité, il est indispensable de bénéficier de crédits et d’une épargne pour que les enfants étudient à l’étranger, dans des grandes écoles, qu’ils aient à leur disposition des ressources comme des ordinateurs et autres outils technologiques. Les consommateurs n’ont pas accès à cela aujourd’hui. On assiste à une multiplication des écoles privées, qui est essentielle car elles innovent et changent la donne dans l’enseignement. Les écoles publiques sont la plupart du temps des endroits où les réformes sont difficiles et les grèves sont nombreuses…

    Les écoles privées, souvent créées par des experts dans l’éducation, sont des entreprises sociales et elles ont besoin d’investisseurs pour les soutenir. Or, pour pouvoir éduquer comme il faut, il ne faut pas chercher la rentabilité immédiate. Le manque de financements conduit à ce que les écoles privées soient de plus en plus commerciales, à la recherche de rentabilité immédiate car les fonds viennent d’une épargne souvent privée et personnelle.

    L’école privée, qui était une solution à l’école publique sclérosée, n’a pas les moyens de ses ambitions. Les questions financières sont fondamentales, pour l’entrepreneuriat et l’enseignement. Il faut que les ménages et les entrepreneurs dans le domaine de l’éducation disposent des ressources pour révolutionner le système.

    L’accès au crédit, c’est LE problème dans les pays en développement : certains parlent même de répression financière. Vous avez une idée, vous commencez une affaire et il est presque impossible de la développer.

    Vous avez indiqué que la création d ’infrastructures energétiques était essentiellement un sujet de financement public. On voit cependant en ce moment se développer, via des financements privés, des modèles alternatifs avec une production d’électricité décentralisée, des kits de panneaux solaires, notamment en Afrique : Que pensez-vous de ce modèle et de son avenir ?

    C’est une partie essentielle de la solution, néanmoins l’Etat a une contribution à apporter, que ce soit pour générer ces équipements, promouvoir leur utilisation, et même pour coordonner leur distribution. Ce qui est clair c’est que l’investissement privé dans le secteur de l’énergie est un très bon complément à ce que l’Etat fait et illustre la nécessité d’une coordination privé / public pour maximiser le potentiel de ces projets.


    Quel bilan tirez-vous des activités de microfinance, et de leur capacité à avoir un impact sur l’industrie et le développement ?

    Les études faites sur cette question montrent un effet très positif, notamment sur la consommation et l’entrepreneuriat des femmes. Ces activités restent limitées, il faudrait pouvoir accélérer et élargir ces actions qui sont une solution à la lutte contre la pauvreté et le sous-développement, car comme je l’ai dit, l’accès aux ressources financières est un énorme frein à la consommation des ménages et à l’entrepreneuriat.

    Il faut continuer à penser des produits financiers nouveaux qui amènent plus de flexibilité et d’incitation aux clients, comme un taux d’intérêt plus bas pour les gens qui remboursent plus vite.

    Quels types d’investissement sont le plus à même de générer un rendement tout en ayant un impact tangible sur le développement ?

    Plusieurs domaines me viennent à l’esprit : Je pense tout d’abord aux nouvelles technologies. De nombreuses start-up en Afrique développent des nouvelles solutions digitales dans le tourisme, l’éducation, la santé et la finance. Ensuite vient l’agriculture : investir dans les fermes revêt un grand potentiel. Enfin, l’éducation permet d’avoir un impact majeur, mais la rentabilité immédiate est bien plus limitée.

    Des progrès spectaculaires ont été faits au niveau de l’école primaire. Il faut cependant les remettre en perspective. D’une part, ces progrès sont insuffisants, car très peu de gens ont accès au secondaire et au supérieur.

    Quels sont les principaux défis liés au développement aujourd’hui ?

    Le premier défi est institutionnel : la mauvaise gouvernance et la corruption sont des freins conséquents. Il faut des réformes institutionnelles pour y remédier.

    Le second défi concerne les infrastructures : l’absence de routes, le coût du transport et l’isolement géographiques sont des défis auxquels il faut apporter des solutions. Ces sujets demandent d’importants investissements, aussi les risques de corruption sont grands. Cela peut bloquer les projets et impacter leur qualité.

    Le troisième défi est d’ordre politique : la tendance est au repli sur soi, à la montée du populisme et au protectionnisme. Or, cela ne répond pas à une logique économique. On voit d’ailleurs que les pays qui étaient le plus fermés par le passé sont aujourd’hui les apôtres du libre-échange.

    Leonard Wantchekon

    Leonard Wantchekon est Professeur titulaire de sciences politiques et économiques à l'Université Princeton. Il a aussi enseigné à l'Université de Yale de 1995-2001 et de New York de 2001-2011, après avoir obtenu son doctorat en économie à l’Université Northwestern toujours aux Etats Unis en 1995.

    Ancien militant pour la démocratie au Bénin entre 1976 et 1986, il a été arrêté à plusieurs reprises et passé 17 mois de prison à Cotonou, Parakou et Segbana de juillet 1985 à décembre 1986. Son expérience académique et politique a été décrite dans son autobiographie, « Rêver à Contre Courant » paru aux éditions l'Harmattan en 2012.

    Le Professeur Wantchekon a été élu Secrétaire Général de l'Association Américaine des Sciences Politiques en 2009 et membre de l'Académie Américaine des Arts et des Sciences en 2013. Il est le 5ème Africain dans l'histoire de la dite Académie, vieille de 236 ans.

    Finalement, il est fondateur de l'Institut de Recherche Empirique en Politique en 2004 et du African School of Economics qui a ouvert ses portes en 2014 à Abomey Calavi au Bénin.

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