Climat, stratégie et performance : la finance à l’épreuve de la transition énergétique

Climat, stratégie et performance : la finance à l’épreuve de la transition énergétique

Article publié dans « Voix d’entrepreneurs » en partenariat avec le Figaro le 29 octobre 2025

Alors que les critères ESG et l’urgence climatique redéfinissent les règles du jeu économique, investisseurs et entreprises cherchent de nouveaux repères pour conjuguer performance et impact. Rencontre croisée entre Isabelle Kocher, ancienne directrice générale d’ENGIE et cofondatrice du cabinet de conseil Blunomy, et Sophie Chardon, Responsable de l’investissement durable chez Lombard Odier. Deux figures engagées au cœur de la transformation économique, qui livrent leur vision d’une finance au service de la transition énergétique.

Points clés :

  • Les entreprises doivent repositionner leurs portefeuilles d’activités pour rester compétitives dans un monde « net-zéro »
     
  • Les investisseurs ne doivent plus se contenter d’évaluer les résultats instantanés (comme l’Ebitda annuel), mais orienter activement les capitaux vers des modèles économiques viables, fondés scientifiquement et capables de générer un impact mesurable
     
  • L’analyse dynamique des trajectoires (émissions évitées, énergie propre ajoutée, circularité des intrants, etc.) est indispensable pour identifier les entreprises “future proof” et distinguer les véritables leaders de la transition.

En quoi la transition énergétique redéfinit-elle aujourd’hui la stratégie des entreprises ?

Isabelle Kocher : La transition n’est pas seulement un impératif moral, c’est une exigence stratégique. Dans un monde où l’empreinte carbone deviendra un critère déterminant, chaque entreprise doit se poser une question simple : mon portefeuille d’activités est-il bien positionné ? Ce que je souhaite transmettre, c’est la conviction que la transition est avant tout une question de stratégie, et non un sujet « extra-financier » traité en marge à travers des rapports obligatoires.

Il s’agit d’une réorientation fondamentale des portefeuilles d’activités vers ce qui sera pertinent et nécessaire pour l’avenir. En ce sens, la transition touche au cœur même de la stratégie d’entreprise : l’allocation des ressources. Et cette allocation doit être pensée de façon à rendre l’entreprise véritablement future-proof, c’est-à-dire capable de prospérer dans le monde de demain. Il est donc essentiel de sortir de cette vision réductrice de « l’extra-financier » pour comprendre que nous parlons bien de stratégie, de compétitivité et de survie.

La transition touche au cœur même de la stratégie d’entreprise : l’allocation des ressources. Et cette allocation doit être pensée de façon à rendre l’entreprise véritablement future-proof, c’est-à-dire capable de prospérer dans le monde de demain

Comment la finance peut-elle accompagner ce changement de paradigme ?

Sophie Chardon : La finance durable doit être un véritable levier de transformation. Elle a pour mission de réorienter activement les flux de capitaux vers les grandes transitions systémiques : énergie, industrie, consommation, santé, en s’appuyant sur les technologies de rupture, notamment l’IA. Cela implique de cibler des modèles économiques solides et fondés scientifiquement, capables de mener la transition vers un monde « net-zéro ».

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L’objectif est d’investir dans des entreprises et projets qui apportent des solutions concrètes et viables à long terme. La finance joue aussi un rôle clé dans le déploiement d’infrastructures à impact, via les obligations vertes et sociales ou les investissements privés dans des infrastructures durables. L’objectif est double : concilier performance financière et impact environnemental et social mesurable, avec des indicateurs clairs comme les émissions évitées ou les capacités d’énergie propre ajoutées.

Les obligations vertes, un levier de financement durable

Le marché des obligations vertes connaît un essor remarquable et fin 2024 l’encours mondial dépassait USD 3 023 milliards, selon la Banque de France. Ces titres se distinguent des obligations classiques par l’affectation exclusive des fonds levés à des projets environnementaux tels que les énergies renouvelables, la mobilité douce ou la protection de la biodiversité. 

La France a joué un rôle pionnier avec l’émission en 2017 par l’Agence France Trésor de la première obligation souveraine verte significative.  EUR sept milliards sur 22 ans ont été consacrés à la lutte contre le changement climatique, l’adaptation, la biodiversité et la lutte contre la pollution. Le succès a été immédiat et depuis plusieurs émissions ont suivi, dont une nouvelle en janvier 2024 de EUR 8 milliards. L’encours total des OAT vertes atteignait ainsi EUR 76 milliards fin 2024 contre EUR 42 milliards trois ans plus tôt. L’Union européenne a également intégré cet instrument en finançant une partie du programme Next Generation EU sous forme d’obligations vertes pour un montant de EUR 73 milliards émis depuis 2021.

Ces titres sont devenus un instrument central de la finance durable. Ils permettent non seulement de flécher l’épargne vers des projets à impact, mais aussi de mesurer les émissions de CO₂ évitées, renforçant ainsi la transparence et la crédibilité des investissements.

Source : Banque de France, Les obligations vertes, avril 2025 

Face aux défis environnementaux, quel rôle doivent jouer les entreprises aujourd’hui ?

Isabelle Kocher : Je considère que ce sont les entreprises, et non les États, qui portent l’innovation. Le rôle des États est d’indiquer une direction, un horizon. Mais ce sont les entreprises qui inventent, qui expérimentent, qui passent à l’échelle. Leur responsabilité est claire : défricher de nouvelles façons de produire et les déployer le plus rapidement possible.

Ce sont les entreprises qui inventent, qui expérimentent, qui passent à l’échelle. Leur responsabilité est claire : défricher de nouvelles façons de produire et les déployer le plus rapidement possible

Chez Engie, que j’ai dirigée entre 2016 et 2020, nous avons fait ce choix radical. En quatre ans, nous avons quasiment arrêté toute production d’électricité à partir du charbon, tout en développant une activité renouvelable à grande échelle1. Lors des 18 mois de préparation de ce virage, j’ai rencontré les actionnaires pour leur dire : nous allons fermer des activités, baisser notre chiffre d’affaires, générer moins de cash, et probablement voir notre cours de bourse chuter. Mais à long terme, vous aurez contribué à créer de la valeur réelle. Et c’est ce qui s’est produit.

Sophie Chardon : Ce que je trouve très intéressant depuis quelques mois c’est qu’on voit que ce leadership est passé des gouvernements aux entreprises car les risques et les opportunités liés à la transition climatique doivent être intégrés au niveau privé.

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Quels sont vos conseils pour accélérer cette transition ?

Isabelle Kocher : Chez Blunomy, nous aidons les institutions financières, les banques et les investisseurs à changer de perspective lorsqu’ils évaluent une entreprise ou analysent leur portefeuille existant. L’enjeu est de comprendre, au sein des entreprises qu’ils financent, quelle part du chiffre d’affaires est exposée aux risques liés à la transition, c’est-à-dire les activités qui seront appelées à décliner dans un monde en mutation, et quelle part, au contraire, bénéficiera de cette transition.

Ce qui est frappant, c’est que des entreprises qui paraissent similaires à première vue – même taille, même empreinte géographique – peuvent, lorsqu’on regarde en détail leur composition, présenter des profils de risque ou d’opportunité radicalement différents, parfois dans un rapport de un à trois, même au sein d’un même secteur. Et pourtant, les valorisations boursières ou les méthodes d’évaluation appliquées, qui bien souvent se focalisent sur l’Ebitda annuel de l’entreprise, restent souvent comparables, comme si ces différences majeures n’étaient pas prises en compte.

C’est en train de changer, et je me réjouis de voir des acteurs comme Lombard Odier faire partie de cette minorité pionnière qui a choisi d’aller plus loin, d’affiner son regard. Il faut changer la représentation du succès, changer le regard sur la performance des entreprises, c’est ainsi que l’on transformera durablement les règles du jeu financier.

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Quels outils d’analyse permettent aujourd’hui d’identifier les entreprises véritablement capables de traverser les grandes transitions systémiques ?

Sophie Chardon : Je partage pleinement votre lecture : à l’heure d’une transformation aussi profonde, il ne suffit plus de scruter la photo instantanée de l’entreprise. L’analyse financière doit évoluer vers une approche dynamique, capable de suivre les progrès réalisés, d’évaluer la viabilité économique des décisions prises et de mesurer la trajectoire vers une économie « net-zéro ».

Cette mutation concerne cinq systèmes clés : l’énergie, à travers la production décarbonée et la flexibilité des réseaux ; l’industrie, via par exemple la circularité des intrants et l’intensité carbone des procédés ; la consommation, en analysant l’empreinte carbone des chaînes logistiques ; la santé, en intégrant l’accès aux soins préventifs et la médecine personnalisée ; enfin, les technologies et l’intelligence artificielle, qui irriguent transversalement tous ces secteurs.

À l’heure d’une transformation aussi profonde, il ne suffit plus de scruter la photo instantanée de l’entreprise. L’analyse financière doit évoluer vers une approche dynamique, capable de suivre les progrès réalisés, d’évaluer la viabilité économique des décisions prises et de mesurer la trajectoire vers une économie « net-zéro »

Face à ces enjeux, les modèles économiques à l’étude doivent être compatibles avec un monde « net-zéro », viable sur le plan économique, fondés sur la science et la technologie, et évaluables en termes d’impact réel et mesurable. C’est un chantier passionnant, qui exige de mobiliser de nouvelles expertises pour apporter aux clients une lecture claire de la capacité des entreprises à traverser les transitions et à prouver, faits à l’appui, qu’elles sont véritablement future proof.

Isabelle Kocher : Vous avez raison, l’enjeu est bien d’intégrer ces critères directement au cœur de l’analyse financière, et non de les traiter comme des indicateurs extra-financiers ». Il s’agit de mesurer, en euros, les risques et opportunités liés à la transition, et pas seulement en tonnes de carbone comme le font encore la plupart des acteurs. Trop souvent, on maintient une séparation artificielle : d’un côté, la finance traditionnelle avec ses indicateurs historiques, utiles dans le passé mais désormais insuffisants ; de l’autre, des grilles extra-financières qui peinent à influencer réellement les décisions. Ce que nous démontrons, c’est qu’il est possible de fusionner ces approches.

Chez Blunomy, nous développons pour de grandes banques mondiales des méthodologies qui, à partir de données publiques, offrent une vision fine des risques et opportunités liés à des milliers d’entreprises en portefeuille. Cette capacité à « pricer » ces éléments, à leur donner une valeur monétaire, change radicalement la donne. Les progrès sont rapides, et c’est une excellente nouvelle : nous disposons aujourd’hui d’outils capables de rendre visibles et comparables des dimensions de performance qui, hier encore, échappaient aux modèles financiers classiques.

Concrètement, comment vos clients intègrent-ils cette nouvelle exigence d’impact dans leurs décisions d’investissement ?

Sophie Chardon : Je suis convaincue que la communication financière doit désormais intégrer ces nouveaux indicateurs. Nos clients nous le demandent très clairement : lorsqu’ils envisagent un investissement, ils veulent que nous soyons capables de démontrer, dans le temps, les impacts réels au-delà de la seule performance financière, qui reste bien sûr notre cœur de métier. Ces informations sont devenues centrales dans la relation avec nos clients, car elles leur permettent de concilier rendement et sens, chiffres et preuves concrètes.

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