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    perspectives d’investissement

    Faut-il se montrer inquiets vis-à-vis de l’Italie ?

    Faut-il se montrer inquiets vis-à-vis de l’Italie ?
    Stéphane Monier - Chief Investment Officer<br/> Lombard Odier Private Bank

    Stéphane Monier

    Chief Investment Officer
    Lombard Odier Private Bank

    Points clés

    • La crise politique actuelle en Italie doit être prise au sérieux car elle pourrait conduire à un nouveau différend budgétaire avec l'UE.
    • Différents scénarios sont possibles à ce stade, dont le maintien de la coalition au pouvoir, l’installation d’un gouvernement provisoire ou des élections anticipées.
    • Un gouvernement anti-UE et anti-immigration, dirigé par le parti de la Ligue de Matteo Salvini, présenterait plusieurs risques : en matière d’impôts et de dépenses, en termes de divisions régionales et, éventuellement, vis-à-vis de l’euro.
    • Les problèmes liés aux perspectives de croissance à long terme et au niveau élevé d'endettement subsistent. De ce fait, le risque d’une crise affectant le pays, voire l’ensemble de la zone euro, ne peut pas être écarté.
    • Une motion de censure à l’encontre du gouvernement italien est imminente. Quelles conséquences pour l'Italie, les marchés financiers et la zone euro ?


    Que s'est-il passé en Italie ?

    Le pays est à nouveau confronté à une crise politique, avec la tenue d’un débat sur la motion de défiance contre le gouvernement fixé au 20 août. Le vice-Premier ministre Matteo Salvini réclame des élections anticipées afin de dissoudre la coalition bancale formée par la Ligue, le parti d'extrême droite anti-européen qu’il dirige, et le Mouvement 5 étoiles, parti anti-système. La Ligue était à l’origine le partenaire mineur de la coalition mais le rapport de force s’est aujourd’hui inversé : M. Salvini a vu sa popularité passer de 17% des suffrages aux élections législatives de 2018 à 34% aux européennes de mai 2019. Les sondages actuels laissent présager que 38% des Italiens voteraient pour lui, un seuil très proche des 40% dont il a besoin pour obtenir une majorité.


    Pourquoi les marchés sont-ils inquiets ?

    Les marchés ne redoutent pas en elle-même la perspective de nouvelles élections en Italie : le gouvernement actuel du pays a après tout déjà dépassé la durée de vie moyenne de 14 mois qui a été celle des administrations italiennes depuis l'après-guerre. En revanche, aucun vote n’a lieu en général à l’automne (aucune élection ne s’est tenue en cette saison depuis 1919), en raison de la nécessité d’établir le nouveau budget national à ce moment-là. L'Union européenne (UE) exige que l'Italie affiche un déficit inférieur à 2% mais prévoit cependant un écart de 3,5 % pour 2020. Les deux négociations budgétaires précédentes ont provoqué un conflit entre la coalition populiste au pouvoir – qui veut réduire les impôts et augmenter les dépenses – et la Commission européenne. Les investisseurs craignent que l’histoire ne se répète à nouveau. Les spreads entre les dettes italienne et allemande ont bondi de quelque 25 points de base après l’appel de M. Salvini au vote de la motion de censure, les actions italiennes ont chuté de 2% environ et celles du secteur bancaire de près de 5%.

    Les marchés ne redoutent pas en elle-même la perspective de nouvelles élections en Italie : le gouvernement actuel du pays a après tout déjà dépassé la durée de vie moyenne de 14 mois qui a été celle des administrations italiennes depuis l'après-guerre.

    Quel est le problème sous-jacent ?

    Des heurts avec l'UE pourraient ébranler la confiance envers l’Italie, nuire à la croissance et accroître le coût du crédit pour les entreprises comme pour les ménages. À long terme, la crainte est que l’économie italienne ne se retrouve sur le fil du rasoir. Il existe un point positif cependant : l’Italie affiche un excédent primaire, soit des recettes fiscales supérieures aux dépenses publiques, hors paiements d'intérêts. Majoritairement détenue par la Banque centrale européenne (BCE) ou par des banques nationales, la dette du pays représente aujourd’hui 132% du PIB . En outre, la croissance reste faible : l’économie italienne ne semble pas capable de s’extraire de ses difficultés. Elle n’a toujours pas retrouvé la taille qui était la sienne avant la crise financière et le revenu réel n'a pas progressé depuis que le pays a adopté l'euro (voir graphique 1). Le niveau d'endettement élevé rend l’Italie vulnérable à la hausse des coûts de financement : au niveau actuel des taux d’intérêt, la viabilité de sa dette présente peu de risques, mais des niveaux supérieurs à 3 % obligeraient l’Italie à dégager un excédent primaire encore plus important afin d’empêcher une nouvelle hausse de sa dette (voir tableau 2). Le pire scénario serait qu’une correction du marché n’oblige l’Italie à revenir dans les clous par la force, ce qui engendrerait des difficultés pour ses banques, voire une nouvelle crise de la zone euro. L’Italie, 8e économie mondiale, a un poids trop important pour être renflouée.

    Au niveau actuel des taux d’intérêt, la viabilité de sa dette présente peu de risques, mais des niveaux supérieurs à 3 % obligeraient l’Italie à dégager un excédent primaire encore plus important afin d’empêcher une nouvelle hausse de sa dette.

    Quelle pourrait être la suite des événements ?

    Scénario 1 – La coalition au pouvoir se maintient, des changements mineurs interviennent et des élections se tiennent en 2020

    Le président italien Sergio Mattarella voudra probablement éviter la tenue d’élections à l'automne. La proposition de M. Salvini d’organiser immédiatement un vote de censure a été rejetée ; depuis, il tente d'amadouer le Mouvement 5 étoiles en promettant de soutenir une de leurs réformes parlementaires clés si de nouvelles élections devaient s’ensuivre. Il n’est pas exclu que la coalition actuelle puisse survivre au moins jusqu'au début de 2020, avec comme contrepartie éventuelle un pouvoir accru accordé à la Ligue. Dans un tel scénario, il est probable qu'un compromis budgétaire acceptable soit trouvé, comme cela est arrivé de par le passé, évitant une crise dans l’immédiat.

    Il n’est pas exclu que la coalition actuelle puisse survivre au moins jusqu'au début de 2020, avec comme contrepartie éventuelle un pouvoir accru accordé à la Ligue.

    Scénario 2 – Un gouvernement provisoire, élu ou technique, est formé

    Le président Mattarella pourrait également essayer de former un nouveau gouvernement avant de convoquer des élections, sachant que l’ensemble des partis en lice ont intérêt à voir la Ligue écartée du pouvoir. L'ancien Premier ministre Matteo Renzi a ainsi proposé une alliance de son Parti démocrate avec le Mouvement 5 étoiles, qui réunirait de fait les deux partis arrivant en deuxième et troisième positions dans les sondages. Mais les divisions régnant au sein des deux formations pourraient rendre la tâche difficile. Une autre possibilité serait que le président italien mette en place un gouvernement technique, comme cela avait été déjà le cas en 2011, qui aurait pour mandat éventuel l’adoption d’un budget avant la tenue de nouvelles élections, une solution qui serait bien accueillie par les marchés financiers.

    Le président Mattarella pourrait également essayer de former un nouveau gouvernement avant de convoquer des élections, sachant que l’ensemble des partis en lice ont intérêt à voir la Ligue écartée du pouvoir.

    Scénario 3 – Des élections anticipées et un nouveau gouvernement dirigé par la Ligue

    C'est le scénario qui présente le plus grand nombre d’inconnues. De nouvelles élections pourraient avoir lieu au plus tôt en octobre, soit, à peu de chose près, à la date limite fixée par la Commission européenne pour la soumission du budget italien. Le risque, c’est qu’un « budget temporaire » n’entre alors en vigueur, obligeant le gouvernement à ne dépenser que des montants limités chaque mois. Cela bloquerait les investissements à long terme et nuirait encore davantage à la croissance économique. À plus long terme, un gouvernement dirigé par la Ligue (avec le soutien probable du parti Forza Italia, de Silvio Berlusconi, ou de celui des Frères d’Italie, aux origines néo-fascistes) susciterait de nombreuses inquiétudes. Malgré la montée récente des partis populistes en Europe, M. Salvini serait le premier leader d'extrême droite à accéder au pouvoir dans l'une de ses principales économies. Les libéraux sont scandalisés par sa politique d'immigration, notamment par son interdiction faite aux navires secourant des migrants perdus en mer de faire débarquer ces derniers en Italie. De quel genre de Premier ministre l’Italie pourrait-elle donc hériter ?

    Malgré la montée récente des partis populistes en Europe, M. Salvini serait le premier leader d'extrême droite à accéder au pouvoir dans l'une de ses principales économies.

    M. Salvini, un Dr Jekyll ?

    Une augmentation des dépenses publiques, au bénéfice des infrastructures par exemple, pourrait s’avérer une bonne chose. L'UE pourrait éventuellement autoriser des dépenses plus élevées en contrepartie de certaines réformes favorables à la croissance, notamment en matière d’efficacité administrative, de droit du travail ou de justice. La Ligue s’est développée dans la région industrielle prospère du nord de l’Italie et ses partisans, qui comptent beaucoup de chefs d’entreprise, souhaitent certes une diminution des impôts mais ne soutiendront probablement pas une sortie de l’euro. Dans le cadre de l’actuel gouvernement de coalition, M. Salvini a adouci le discours « basta euro » (« assez de l'euro ») qu’il tenait auparavant et a largement acquiescé aux exigences budgétaires de l'UE. Rien n’empêche qu’il ne poursuive dans cette voie s’il devait diriger le gouvernement italien.

    L'UE pourrait éventuellement autoriser des dépenses plus élevées en contrepartie de certaines réformes favorables à la croissance, notamment en matière d’efficacité administrative, de droit du travail ou de justice.

    M. Salvini, un Mr Hyde ?

    A contrario, M. Salvini pourrait reprendre les armes contre l’Europe. Il pourrait relancer une idée qu’il avait proposée en mai, visant à développer une monnaie parallèle qui servirait à payer les sous-traitants du secteur public et qui constituerait la première étape d’un processus éventuel de sortie de l’euro. Il pourrait également remettre sur le métier son projet d'imposition du revenu des particuliers et des sociétés à taux uniforme, fixé à 15%, ce qui entraînerait un déficit nettement plus élevé, du moins à court terme. Il pourrait même faire revivre le régionalisme sous une forme ou sous une autre : dans les années 1990, la Ligue avait réclamé l'indépendance du nord de l'Italie.

    A contrario, M. Salvini pourrait reprendre les armes contre l’Europe.

    Scénario 4 – Des élections anticipées et un gouvernement orienté à gauche

    Dans un tel scénario, on pourrait supposer qu’une coalition formée du Parti démocrate et du Mouvement 5 étoiles prenne la tête du pays, par exemple si la Ligue ne parvenait pas à former une majorité opérationnelle. Tout comme dans le scénario 2, cette issue pourrait s'avérer plutôt favorable pour les marchés.


    Quelles sont les perspectives à long terme ?

    Dans tous les cas, peu de dirigeants politiques italiens, quelle que soit leur tendance, ont un plan convaincant de soutien à la croissance. Tant que M. Salvini se situera au centre du pouvoir ou à proximité de celui-ci, les relations avec l'UE continueront probablement d’être tendues. Et même si les baisses de taux et les achats d’actifs attendus de la part de la BCE devraient apporter un soutien aux marchés à partir de septembre, les problèmes à long terme demeurent quant à eux inchangés. Par là même, le risque d'une crise obligataire accidentelle ne peut toujours pas être totalement exclu.

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