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    Pétrole : le spectre d’un engrenage géopolitique

    Pétrole : le spectre d’un engrenage géopolitique
    Stéphane Monier - Chief Investment Officer<br/> Lombard Odier Private Bank

    Stéphane Monier

    Chief Investment Officer
    Lombard Odier Private Bank

    Points clés

    • L’attaque du 14 septembre contre deux installations pétrolières en Arabie saoudite a réduit de moitié la production du pays, soit la plus importante rupture jamais observée.
    • Les prix du pétrole ont enregistré une des plus fortes hausses journalières de leur histoire.
    • Les politiques américaines sur le commerce et l’Iran modifient l'équilibre géopolitique du Moyen-Orient.
    • L'Arabie saoudite, les États-Unis et l'Iran s’affrontent sur fond de nouvelle menace militaire représentée par des drones peu coûteux et difficiles à contrer de manière conventionnelle.
    • Les risques géopolitiques se sont accrus pour les investisseurs. La politique commerciale et la diplomatie nucléaire des États-Unis impactent la politique du pétrole.

     

    L’attaque récente contre des installations pétrolières en Arabie saoudite, qui a temporairement réduit de moitié la production du pays1 a mis en évidence la vulnérabilité des infrastructures du Royaume saoudien. Bien que les rebelles au Yémen aient revendiqué la responsabilité de l'attaque, les États-Unis et l'Arabie saoudite considèrent qu’elle était impossible sans le soutien de l'Iran.

    Le conflit au Moyen-Orient est un indicateur indirect des tensions entre d'une part les États-Unis et leurs alliés (notamment l'Arabie saoudite), et d’autre part l'Iran, la Chine et la Russie.

    « C’était une attaque iranienne », a déclaré le secrétaire d'État américain Mike Pompeo, et un « acte de guerre ». Les États-Unis ont réagi en préparant de nouvelles sanctions contre l'Iran. Le président Donald Trump a répété que son gouvernement étudiait les options disponibles, tout en s’abstenant d’envisager des représailles militaires. Mais, a-t-il déclaré la semaine dernière, « nous avons encore amplement le temps de faire des choses effroyables. »

    Le ministre iranien des Affaires étrangères, Javed Zarif, a nié toute implication de son pays et a déclaré que la politique de « pression maximale » qu’appliquaient les États-Unis envers l’Iran tournait « au mensonge et à la supercherie » ; il a réitéré ses appels à la reprise des négociations en vue de régler le différend existant sur le programme nucléaire iranien.

    L'attaque survenue illustre également les faiblesses des défenses militaires conventionnelles face à des frappes de drones peu coûteuses et difficiles à anticiper.

    En mai 2018, les États-Unis se sont retirés unilatéralement de leurs engagements, pris conjointement avec les États européens, d’œuvrer à la limitation des ambitions nucléaires de l’Iran et ont réimposé des sanctions à l’encontre du pays. L'Iran s’est ainsi retrouvé avec peu d’options de négociation en main et une production de pétrole réduite.

    L'attaque survenue illustre également les faiblesses des défenses militaires conventionnelles face à des frappes de drones peu coûteuses et difficiles à anticiper. Dans l’attente du rétablissement des capacités de production de pétrole de l'Arabie saoudite, l’administration américaine a donné son feu vert à l’utilisation des réserves stratégiques des États-Unis.


    Flambée des prix

    L’effet immédiat de l’attaque du 14 septembre a été une réduction de la production de 5,7 millions de barils par jour (bpj), soit près de 5% de la production mondiale, provoquant une hausse des prix du pétrole brut de près de 15 %. Les prix ont reculé après que l’Arabie saoudite a rassuré les marchés en indiquant le délai estimé de remise en service de ses installations touchées. La compagnie pétrolière nationale, Saudi Aramco, a déjà redressé la production de 2 millions de bpj (cf. graphique 1) et a annoncé la semaine dernière qu’elle envisageait de revenir à la production de 9,8 millions de bpj du mois d’août d’ici à la fin du mois. Parallèlement aux promesses de déblocage de stocks, cette nouvelle a continué de faire baisser les prix du pétrole (cf. graphique 2). Le Royaume saoudien avait par ailleurs réduit sa production afin de respecter ses engagements pris dans le cadre de l'OPEP + l'année dernière, ce qui signifie qu'il devrait disposer d’une capacité de production supplémentaire.

    Néanmoins, le danger demeure que toute nouvelle entrave à l’économie mondiale – qui pâtit déjà des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine (dont une diminution des achats chinois de pétrole américain) et des incertitudes liées à l’issue du Brexit – se traduise par une baisse de la demande de consommation et par un ralentissement général.

    Bien que les équipements militaires de l’Arabie saoudite lui permettent de parer à des attaques classiques, il lui est beaucoup plus difficile de faire face à des drones peu coûteux, indétectables et capables de détruire des cibles précises.

    Dans l'intervalle, le commerce du pétrole s'adapte au conflit opposant les États-Unis à la Chine. La Chine, premier importateur mondial de brut, achète traditionnellement son pétrole auprès de la Russie, de l’Arabie Saoudite et de l’Iran. Dans le sillage de l’imposition initiale des droits de douane américains aux produits chinois, la Chine a divisé par dix ses importations de pétrole américain et sa dépendance vis-à-vis du pétrole saoudien s’est encore accrue alors que les tensions entre les États-Unis et l’Iran s’intensifiaient.


    Sans issue ?

    L’ensemble des parties semblent à court d'options politiques. L’armée saoudienne pourrait décider de contre-attaquer, mais un tel choix nécessiterait le soutien logistique et diplomatique des États-Unis. Dans tous les cas, le Royaume saoudien a bien compris que de nouvelles frappes visant ses installations pétrolières seraient relativement faciles à mener d’un point de vue technique. La défense antimissile saoudienne était tournée vers le Yémen lorsque les drones ont frappé le 14 septembre et n’a pas réussi à détecter la menace. Bien que les équipements militaires de l’Arabie saoudite lui permettent de parer à des attaques classiques, il lui est beaucoup plus difficile de faire face à des drones peu coûteux, indétectables et capables de détruire des cibles précises.

    L’Iran a peut-être aussi parié sur l’absence de riposte américaine. Le président Trump a en effet annulé des frappes au mois de juin, qui avaient été initialement décidées en représailles d’attaques contre des pétroliers dans le détroit d’Ormuz. Téhéran a peut-être également pensé qu’il avait ici peu à perdre. De plus, l'Iran pourrait toujours perturber le transport pétrolier dans le détroit par lequel transite un cinquième du pétrole vendu dans le monde.

    Les États-Unis disposent également de peu d'options et Donald Trump a promis il y a trois ans de ne pas entraîner son pays dans de nouvelles guerres à l’étranger - sans rien exclure cependant.


    Quelles implications pour l’allocation d’actifs ?

    Les perspectives bénéficiaires se sont déjà détériorées alors que le commerce mondial s’adapte à une multitude de perturbations. Tout signe de fléchissement de la consommation américaine risquerait de provoquer un recul supplémentaire des bénéfices, tandis que les indices actions souffrent d’une aversion au risque croissante. Même si certaines valeurs, telles que les sociétés productrices de pétrole, pourraient en profiter, les marchés émergents seraient les plus durement touchés compte tenu de leur exposition à l'économie mondiale.

    Dans de telles circonstances, la hausse des prix du pétrole et la détérioration de la conjoncture mondiale devraient entraîner une appréciation du dollar américain par rapport à des devises sensibles au cycle économique, en particulier la roupie indienne et la livre turque. Une dégradation plus marquée aurait également pour effet de faire converger vers l’or les investissements en valeurs « refuge », en particulier dans le contexte actuel de faible rendement des actifs refuge traditionnels.

    La diplomatie commerciale et nucléaire américaine a des conséquences non voulues mais directes sur le pétrole au Moyen-Orient.

    Cela dit, nous ne pensons pas qu'il existe un risque élevé de choc pétrolier à long terme, car les stocks comme la remise en service des installations en Arabie saoudite, ainsi que l’utilisation des réserves américaines, permettront de répondre à la demande. En outre, l’offre et les réserves mondiales ont fondamentalement évolué au cours des trois dernières décennies. Ainsi, l’attaque du 14 septembre ne devrait pas avoir de conséquences durables et ne conduira pas à une crise pétrolière ressemblant à celle survenue en 1970.

    À notre avis, le seul facteur susceptible de déclencher une crise profonde et durable (et une hausse des prix du pétrole) serait un conflit prolongé qui aurait pour enjeu le détroit d'Ormuz. Une chose est claire: la diplomatie commerciale et nucléaire américaine a des conséquences non voulues mais directes sur le pétrole au Moyen-Orient.

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