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    La pandémie amplifie les tendances existantes

    La pandémie amplifie les tendances existantes
    Samy Chaar - Chef économiste et CIO Suisse

    Samy Chaar

    Chef économiste et CIO Suisse

    Publié dans Finanz und Wirtschaft, Samedi 6 Juin

    M. Chaar, l’activité économique reprend lentement son cours dans de nombreux pays et les mesures de confinement mises en place pour contrer le coronavirus sont peu à peu levées. A quoi ressemblera le monde à l’ère post-Covid ?

    Tout d’abord, il faut déjà qu’un traitement ou un vaccin soit trouvé avant de pouvoir envisager le monde post-coronavirus. Il y a de bonnes chances que des avancées soient réalisées dans ce domaine dès l’automne ou l’année prochaine. Par contre, si la deuxième vague tant redoutée se concrétise, des mesures de confinement pourraient être imposées à nouveau et nous nous retrouverions à la case départ. A mon avis, ce scénario du pire est toutefois très peu probable.

    Une deuxième vague est très peu probable

    Pourquoi ?

    Parce que l’économie s’ouvre progressivement. Nous devons apprendre à vivre et danser au rythme du virus – deux pas en avant, un pas en arrière, si nécessaire. Autrement dit, nous devons rester prudents. Cependant, en fonction de l’évolution de l’épidémie, notre vie quotidienne reviendra certainement à la normale. Reste à savoir quand la reprise se produira et combien de pertes douloureuses cet épisode sans précédent engendrera. Pour le tourisme et le trafic aérien international, l’été sera de toute évidence éprouvant, ne nous berçons pas d’illusions.


    A quoi ressemblera la nouvelle normalité après le coronavirus ?

    A mon avis, parler d’une nouvelle normalité ne rend pas bien compte de la situation. La pandémie de Covid-19 ne change rien, elle ne fait qu’accentuer des tendances économiques existantes.

    La pandémie de Covid-19 ne change rien, elle ne fait qu’accentuer des tendances économiques existantes

    Pouvez-vous nous en dire plus ?

    Même avant que la pandémie n’éclate, le moteur économique tournait déjà au ralenti dans de nombreux pays. Il faut en outre composer avec des coûts de production faibles, une inflation basse, des taux d’intérêt négatifs, des inégalités de revenus et des dettes souveraines lourdes. A ce niveau, il n’y aura pas de changements fondamentaux. Sur le plan des salaires, par exemple : il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils augmentent après le Covid-19. Et nous ne nous attendons pas à ce que le cours du pétrole remonte au-dessus de 50 dollars le baril dans les prochaines années. Autrement dit, les coûts de production ne devraient pas augmenter.


    Pour lutter contre la récession et soutenir l’économie, les banques centrales sont en train de déployer des plans de relance se chiffrant en plusieurs milliards. Hier (jeudi), par exemple, la BCE a relevé le volume de ses rachats d’obligations d’EUR 600 milliards à EUR 1350 milliards. Quel est l’impact sur l’inflation ?

    Certains redoutent une hausse de l’inflation après la pandémie. Or en réalité, il est plus probable que l’inflation diminue après le Covid, l’inflation de la zone euro étant tombée à 1% en mai. Sur les marchés, on est plus en situation de pénuries de liquidités que de surabondance.


    Pourquoi ?

    Aujourd’hui, l’action des banques centrales est comparable à une mise sous perfusion dans la mesure où elles administrent une aide d’urgence absolue. Le produit injecté, ce sont les liquidités dont l’économie a cruellement besoin en ce moment. Tous les fonds que les banques centrales injectent dans l’économie compensent la perte de liquidités. Ils ne se transforment pas en excédent. La deuxième raison est l’activité économique. Des augmentations générales des salaires, qui pourraient également entraîner une hausse des prix, ne sont pas envisageables pour le moment. Au contraire, beaucoup de gens ne savent pas s’ils auront encore leur emploi demain. La faiblesse des cours du pétrole est une autre variable de l’équation.

    Tous les fonds que les banques centrales injectent dans l’économie compensent la perte de liquidités. Ils ne se transforment pas en excédent

    Quel conseil pouvez-vous donner aux investisseurs dans le contexte actuel ?

    Je pense qu’il est intéressant d’investir dans des entreprises qui proposent des solutions aux enjeux de demain, par exemple dans les domaines de la santé, de l’éducation ou de l’énergie. Ces entreprises doivent pouvoir se prévaloir d’un bilan solide et d’un bon historique de performance. La soutenabilité est essentielle. Notre cadre d'investissement durable couvre deux dimensions : ce que font les entreprises - leur modèle d'entreprise et leurs activités - et comment elles fonctionnent (leurs pratiques commerciales).


    Comment équilibrer les risques éventuels dans le portefeuille ?

    L’immobilier est un moyen d’équilibrer les risques en investissant en actions ou en private equity. Outre les pôles de stabilité traditionnels en portefeuille, tels que l’or, nous recommandons également une diversification en termes de devises, par exemple avec le franc suisse ou le yen. Toutefois, les stratégies longues et courtes de divers hedge funds peuvent également se révéler utiles à cet égard. Elles permettent de constituer un portefeuille solide.

    Vous avez dit que les tendances actuelles ne changeront pas beaucoup après la pandémie. Avez-vous tout de même adapté votre portefeuille ?

    Nous étions bien préparés et n’avons opéré que des ajustements mineurs. Les seuls secteurs et régions pour lesquels nous sommes devenus plus prudents sont ceux qui sont fortement tributaires du pétrole, puisque, comme je l’ai dit, les cours du pétrole resteront à un faible niveau pendant longtemps encore. Cela freine le développement dans certains pays du Moyen-Orient, d’Europe de l’Est et d’Amérique latine.

    L’immobilier est un moyen d’équilibrer les risques en investissant en actions ou en private equity

    Qu’en est-il de l’Asie ?

    Nous avons accru notre exposition à l’Asie, y compris à l’Europe et aux Etats-Unis. Les secteurs que nous plébiscitons sont la technologie, la santé et l’énergie.


    Vous avez mentionné le faible niveau des cours pétroliers. Que pensez-vous des actions dans ce secteur ? Est-il à présent conseillé d’investir ?

    Le seul argument qui plaide en leur faveur est qu’elles sont très bon marché en ce moment. Mais les cours peuvent rester bas pendant très longtemps. Nous avons, par exemple, pu le constater dans le secteur financier au cours des dix dernières années. Autre obstacle : les pays producteurs de pétrole n’arrivent pas à trouver un terrain d’entente pour une coopération, même au sein de l’OPEP. Cela signifie que même si la demande de pétrole augmente à nouveau à l’avenir, les valorisations des actions seront toujours trop élevées, ce qui aura aussi un impact négatif sur le cours.


    Aujourd’hui, de grandes entreprises énergétiques telles que BP ont annoncé qu’elles allaient mettre en œuvre la transition énergétique et visaient la neutralité carbone. Cela change-t-il quelque peu votre évaluation ?

    Nous sommes actuellement sous-pondérés dans ce secteur. Cela dit, nous surveillons l’évolution de très près. Même si ces entreprises font partie du problème pour le moment, rien ne dit qu’elles ne deviendront pas une partie de la solution plus tard. Les entreprises sont bien placées pour trouver des solutions. Par exemple, pour les systèmes de conduite des voitures électriques.


    La faiblesse des taux d’intérêt est une autre tendance qui pourrait être exacerbée par la pandémie de Covid-19. Combien de temps ce phénomène durera-t-il encore ?

    En l’absence de pressions inflationnistes et sachant que le redressement de l’économie est lent, nous prévoyons qu’à la fin de 2021, les taux d’intérêt camperont toujours au même niveau qu’aujourd’hui. Certainement en Europe, mais probablement aussi aux Etats-Unis. Les banques centrales n’ont aucune raison de se précipiter pour relever leurs taux d’intérêt. Après tout, elles ne veulent pas mettre en péril la reprise de l’économie. C’est comme lorsqu’un patient sort de l’hôpital : s’il arrête son traitement trop tôt, il peut atterrir à nouveau aux soins intensifs et tous les efforts auront été vains.

    Les banques centrales n’ont aucune raison de se précipiter pour relever leurs taux d’intérêt

    Quel rôle jouent les instances politiques dans la sortie de crise ? La chancelière allemande Angela Merkel et son homologue français Emmanuel Macron ont annoncé la création d’un fonds de reconstruction très controversé de EUR 500 milliards.

    Ce fonds est une étape importante car il permet justement de mutualiser les dettes. Et le revirement de l’Allemagne, qui s’est toujours opposée aux euro-obligations, témoigne, de toute évidence, d’un changement de cap. Ce nouvel instrument doit être utilisé exclusivement pour lutter contre la crise du coronavirus. Toutefois, si le spectre d’une nouvelle récession refait surface dans quelques années, nous savons maintenant que l’Union européenne dispose d’un autre instrument pour lutter contre la crise.


    En quoi les critiques dirigées contre ce fonds de reconstruction vous dérangent-elles ?

    La compensation financière proposée est équitable. L’Italie se verra allouer une plus grande part du budget de l’UE que l’Allemagne, tout simplement parce qu’elle a été plus touchée par la pandémie de Covid-19 que l’Allemagne. Lors de la prochaine crise, l’inverse pourrait aussi se produire. A mon sens, il est essentiel de mettre en place un mécanisme qui n’est pas uniquement fondé sur une dette nationale, mais aussi sur une dette européenne. Qu’il soit mobilisé pour venir en aide aux pays les plus durement touchés par la crise est une bonne chose.


    Les « quatre frugaux », l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark ont manifesté leur opposition à la proposition.

    Les modalités finales de mise en œuvre du plan prôné par Berlin et Paris font encore l’objet de négociations. Ce qui importe, c’est que ces mesures soient mises en œuvre de manière à permettre à l’économie de se redresser le plus rapidement possible. Si les « quatre frugaux » ne sont pas prêts à lâcher du lest et si l’économie ne se redresse pas, la pression sur les Etats augmentera considérablement. Ce sera difficile, mais un accord est probable. Même si les « quatre frugaux » vont certainement essayer de vendre leur peau le plus cher possible. Mais il ne s’agit pas uniquement de politique intérieure. Ils veulent faire comprendre à leur électorat qu’ils ne céderont pas sans se battre. Selon moi, la lutte sera tout aussi difficile qu’en 2012, lorsque le plan de sauvetage de l’euro a été décidé.


    Tous ces plans de relance sont susceptibles de gonfler la dette. Qui va payer la facture ?

    Bien sûr, la dette va augmenter dans le sillage du Covid-19. Il n’empêche que la dette souveraine était déjà élevée avant l’apparition de l’épidémie. Il n’en reste pas moins que la dette sera remboursée, cela ne fait aucun doute. Prenez le Japon. Sa dette, qui représente 250% du PIB nippon, a certes augmenté, mais le pays n’a aucun problème pour la rembourser. L’endettement de l’Italie représente 130% de son PIB, mais Rome peut également assurer le service de sa dette.

    La dette va augmenter dans le sillage du Covid-19. Il n’en reste pas moins que la dette sera remboursée, cela ne fait aucun doute

    Cela dit, le risque d’insolvabilité est plus élevé pour l’Italie que pour le Japon.

    Ce qui importe, ce n’est pas le montant de la dette, mais les intérêts qu’un pays doit acquitter. Imaginez que vous venez d’acheter une maison. Si vous regardez la totalité des dettes que vous avez contractées, vous pourriez vite avoir le vertige. Cela ne signifie pas pour autant que vous êtes sous la menace immédiate d’une insolvabilité, du moins tant que vous ne perdez pas votre emploi. Parce que les mensualités du prêt hypothécaire sont inférieures à celles que vous payiez pour votre appartement en location. Mais pour en revenir à la question de la dette souveraine. L’Italie ne risque pas de perdre son emploi. Le niveau d’intérêt par rapport au PIB est à son plus bas niveau depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce qui est également positif dans le cas de l’Italie, c’est que le niveau de l’épargne privée est élevé. Il y a encore de l’argent, même si les caisses de l’’Etat sont vides. Ce n’est pas le remboursement de la dette qui pose problème, ni les primes d’intérêt. Le problème, c’est ce que les Etats font de leurs dettes.

    Nous avons maintenant une occasion sans précédent de faire ce qu’il faut

    Que recommandez-vous ?

    Si les Etats n’investissent pas les fonds supplémentaires de l’Union européenne de manière productive, ils seront perdants. Il est important d’investir dans les infrastructures, l’éducation, la technologie et la santé. Les gouvernements doivent pérenniser l’avenir des prochaines générations. Nous avons maintenant une occasion sans précédent de faire ce qu’il faut.

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