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    Les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans franchissent la barre des 3% : quel sera le point de rupture pour les marchés actions ?

    Les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans franchissent la barre des 3% : quel sera le point de rupture pour les marchés actions ?
    Sophie Chardon - Stratège cross-asset

    Sophie Chardon

    Stratège cross-asset

    Les rendements des bons du Trésor américain (UST – US Treasury) à 10 ans ont franchi le seuil des 3% (+60 points de base (pb) depuis le début de l'année) le 24 avril, un niveau jamais vu depuis décembre 2013.

    Les turbulences qu’ont connues les marchés actions fin janvier ont mis en évidence le lien étroit qui existe entre les taux d'intérêt et les actions, en particulier lorsque les mouvements sur les taux sont brusques. D’un point de vue théorique, l'impact de taux nominaux plus élevés et de l'inflation sur les bénéfices des entreprises est ambigu, car de multiples canaux de transmission peuvent agir dans des directions opposées. L'effet sur les valorisations est plus simple à déduire : des taux plus élevés réduisent la valeur actuelle nette des flux de trésorerie futurs.

    D’un point de vue empirique, les actions ont généralement surperformé les obligations au cours des dernières décennies lorsque l’inflation s’établissait au-dessus des 2%. Dans le même temps, un rendement UST de 5% ou plus a eu tendance à être négatif pour les actions. Et compte tenu du nouveau paradigme post-crise caractérisé par un potentiel de croissance plus faible, il y a fort à parier que le point de rupture arrivera plus tôt dans ce cycle. Notre analyse montre que des taux réels qui évoluent au-dessus de la croissance potentielle américaine constitueraient un signal d'alerte. Sur la base des estimations actuelles, soit des taux de croissance potentielle qui se situent entre 1,6% et 1,8%, les taux réels devraient progresser de 80 pb supplémentaires avant d'affecter les marchés d’actions.

    À mesure que l'inflation se normalise et, à son tour, la politique monétaire, des épisodes de volatilité à l’instar de celui survenu en février semblent inévitables. Alors que les tensions commerciales se sont apaisées – au moins temporairement – au cours des dernières semaines, les taux ont repris leur trajectoire haussière, et ont dépassé le seuil symbolique des 3% sur les rendements du Trésor à 10 ans.

    À court terme, la hausse soutenue des prix des matières premières devrait appuyer davantage les anticipations d'inflation, tandis que la politique budgétaire expansionniste mise en place dans la phase tardive du cycle conjoncturel (c'est-à-dire au moment où le marché du travail se resserre déjà) présente un risque à moyen terme.

    Fait intéressant, ce ne sont pas les points morts d’inflation qui sont les principaux moteurs de la récente hausse des rendements obligataires, mais les taux réels. En effet, les taux réels américains à 10 ans sont en hausse de près de 40 pb depuis le début de l'année, alors que les points morts ne progressent que de 20 pb. Les investisseurs obligataires tiennent compte du fait que la hausse de l'inflation pourrait finalement pousser la Réserve fédérale américaine (Fed) à devenir plus restrictive et à accélérer le rythme de resserrement de sa politique monétaire.

    Nous sommes convaincus depuis longtemps qu'un environnement de reflation, caractérisé par une hausse du point mort d'inflation, a été globalement positif pour les actifs cycliques et pour un positionnement de portefeuille favorable au risque. Au cours des dernières décennies, les actions mondiales ont surperformé les obligations lorsque l'inflation américaine est passée au-dessus d’un seuil de 2%. Cependant, d’un point de vue empirique, nous n'avons trouvé aucune preuve de l’existence d’un lien (positif ou négatif) entre les taux réels et la performance des actifs risqués.

    Dans cette note, nous analysons la relation entre l'inflation, les rendements obligataires et les marchés d’actions, qui n'est clairement pas linéaire, mais dépend fortement de la situation financière des entreprises, de l'orientation monétaire et du niveau des taux réels par rapport à la croissance potentielle.


    Taux, inflation et bénéfices des entreprises

    L'impact de taux nominaux et d’une inflation plus élevés sur les bénéfices des entreprises est difficile à définir, car il existe de nombreux canaux de transmission directs ou indirects qui agissent dans des directions opposées :

    • a)  une inflation plus élevée signifie des revenus plus élevés (+) ;
    • b)  une inflation plus élevée signifie généralement des salaires plus élevés – c'est-à-dire des coûts plus élevés – qui peuvent ou non, selon le levier d'exploitation, détériorer les marges des entreprises (+/-) ;
    • c)   selon le moment du cycle, des taux nominaux plus élevés peuvent être soit le reflet d'une amélioration de l'activité, soit un catalyseur d'un ralentissement de l’investissement (ce qui peut alors laisser penser qu'une économie s’approche de la phase de surchauffe) (+/-) ;
    • d)  des taux nominaux plus élevés signifient des coûts de financement et une charge d’intérêts plus importants (-).

    Nous pensons que la réévaluation actuelle des taux d'intérêt reflète les anticipations d'une croissance nominale plus forte, entérinant l'impact de la politique budgétaire expansionniste annoncée aux Etats-Unis un peu plus tôt dans l’année. En conséquence, nous avons revu à la hausse nos prévisions de croissance et d'inflation pour 2018. Ces perspectives de croissance plus prononcées impliquent non seulement une augmentation de la croissance des revenus, mais aussi une expansion des marges. En effet, d’un point de vue empirique, nous avons constaté que les périodes de hausse des salaires coïncident avec des périodes de hausse des marges : les directions des entreprises sont plus enclines à augmenter les salaires lorsque leur évaluation des perspectives économiques est positive (c’est-à-dire lorsqu’elles s’attendent à un levier d’exploitation supérieur à 1). L'estimation actuelle du levier d'exploitation pour l’indice S&P 500 est nettement supérieure à deux, tandis que les enseignements tirés de la dernière saison de publication des résultats se sont révélés particulièrement positifs pour les perspectives économiques et les dépenses en capital.

    La réduction des charges d'intérêts a été un facteur important de la croissance des bénéfices au cours de ce cycle. Une boucle de réaction négative pourrait néanmoins prendre forme si les conditions financières se détérioraient brusquement et pesaient sur le contexte économique et les revenus, tandis qu'un taux minimal croissant de l’investissement nominal pourrait limiter le financement de nouveaux projets. En fin de compte, les charges d'intérêts augmenteront graduellement au fur et à mesure que la part de la dette nouvellement émise s’accroîtra. Depuis 1990, les contractions des bénéfices – et les récessions économiques1 – se produisent généralement lorsque l'indice Goldman Sachs US Financial Conditions passe la barre des 100. Cet indicateur repose sur un ensemble de variables financières susceptibles d'affecter les conditions de financement des entreprises américaines, les principaux facteurs pris en compte étant les écarts de crédit et les taux d'intérêt. L'évolution récente des taux a fait passer l'indice de 98,2 à 98,7, ce qui reste toujours bien en dessous du seuil de 100. Dans les faits, cet indicateur est toujours proche de ses plus bas historiques, ce qui signifie que les conditions financières ne sont pas encore en territoire prohibitif.

    La vitesse d'ajustement reste cruciale et, bien entendu, un rythme lent serait favorable. Tout d'abord, le cycle de resserrement initié il y a plus de deux ans par la Fed est évidemment atypique en ce qui concerne le niveau initial des taux directeurs (0,25%) mais aussi, de manière plus frappante, en termes de rythme des hausses.

    Jusqu'à présent, le Federal Open Market Committee (FOMC) a adopté une position très prudente, adaptant son cycle de resserrement à l'environnement financier. Même si des inquiétudes pourraient survenir durant la phase d’adaptation de Jerome Powell à son nouveau rôle de président de la Fed, nous voyons peu de risque que l’autorité monétaire américaine change radicalement de politique au cours des prochains trimestres. Ceci diffère de façon significative des cycles de resserrement passés (lorsque les hausses de taux se sont produites à un rythme beaucoup plus rapide) comme des chocs de taux d'intérêt passés.

    En second lieu, après plus de sept années de taux d'intérêt extrêmement bas, nous sommes d’avis que les entreprises pourraient être moins sensibles à une hausse des taux d'intérêt, et ce pour deux raisons principales : i / l’émission d’une dette majoritairement fixe et à long terme au cours du dernier cycle de crédit ; ii / des réserves de trésorerie élevées détenues par les entreprises. Par conséquent, le taux d'intérêt moyen payé par les sociétés américaines les plus risquées (hors secteur des matières premières) est historiquement bas et non corrélé aux rendements souverains. Entre 2011 et 2015, il est passé de 9,4% à 6,5%, tandis que le rendement américain à 10 ans était en hausse de 120 pb. Depuis lors, il est resté très stable, entre 6,5% et 6,8%. Il en va de même pour les sociétés du S&P 500, pour lesquelles l'intérêt moyen payé est inférieur d'environ 300 pb.

    À ce titre, nous pensons que les bénéfices continueront de profiter d'une inflation plus élevée, car le niveau actuel des taux d'intérêt, qui reste bien en deçà de la croissance nominale, n'affecte pas significativement l'activité économique. La saison de publication de résultats en cours devrait créer des surprises positives et souligner une croissance soutenue des revenus aux Etats-Unis et en Europe. Dans ce contexte, le consensus table sur une croissance des bénéfices de 19% aux Etats-Unis pour cette année (+ 14% pour le MSCI World).


    Taux, inflation et valorisations des actions

    Le niveau actuel d'inflation n'est pas un problème en lui-même, ni de lui-même : nous avons montré que les périodes où l’inflation est positive mais limitée entre 1% et 3% sont associées aux ratios cours/bénéfices les plus élevés2. À l'avenir, nous (comme le consensus) prévoyons que l'inflation rebondira à partir de son niveau actuel et se rapprochera de sa limite supérieure à long terme (avec un indice des prix à la consommation personnelle proche de 2%), de façon conforme à la croissance économique accélérée et au resserrement du marché du travail. Dans une perspective historique, ces niveaux ne sont pas préoccupants. Cependant, sortant d’une période d’après-crise financière mondiale, caractérisée par des craintes déflationnistes de longue durée, les marchés deviennent plus nerveux à mesure que ces chiffres se rapprochent de l'objectif d'inflation de la Fed.

    Plutôt que le niveau de l'inflation, c’est la volatilité de celle-ci qu’il faut surveiller de près, car elle pourrait se traduire au final par une prime de risque plus élevée et des niveaux de valorisation plus faibles. En effet, même si les résultats restent solides, des taux d’escompte plus élevés réduisent automatiquement la valeur actuelle nette des flux de trésorerie futurs3. Les incertitudes autour de l'inflation et de la capacité de la Fed à maîtriser la situation peuvent se traduire par des taux réels plus élevés : alors que des points morts plus élevés reflètent des anticipations d'une inflation plus forte, des taux réels plus élevés peuvent refléter des craintes d'une inflation inattendue et la perception d'une Fed qui aurait du retard dans son action. Ceci dit, contrairement à l'expérience vécue dans les années 1980 et 1990, nous pensons que la politique monétaire actuelle, qui donne une orientation et une confiance accrue dans l'ancrage des anticipations d'inflation, devrait limiter ces incertitudes et limiter la hausse des taux réels. À l'horizon 2018, nous avions émis l’avis que les valorisations élevées des actions observées en 2017 correspondaient à un contexte économique idéal, qui se distingue par une croissance robuste et une inflation contenue (Goldilocks). Cependant, nous avions également expliqué que les incertitudes croissantes entourant l'inflation et la politique monétaire étaient susceptibles d’assombrir les perspectives. En effet, ces dernières tendent à alimenter des taux réels plus élevés et, à leur tour, des valorisations plus faibles. Dans ce cadre, nos attentes vis-à-vis des indices boursiers américains en 2018 incluaient un repli, qui s'est matérialisé au cours de la récente correction intervenue sur le marché.

    Enfin, le niveau des taux influe également sur la valorisation relative et les flux d'allocation d'actifs, les investisseurs axés sur les revenus changeant de cap alors que les rendements obligataires rivalisent avec le rendement des actionnaires (dividendes + rachats), notamment à la fin d'un cycle haussier. Aux Etats-Unis, l'écart entre le rendement des actions du S&P 500 (ratio bénéfice/cours) et le rendement des obligations de qualité supérieure se situe toujours nettement au-dessus de sa moyenne historique (63 pb) à 105 pb, soutenant un scénario de valorisation relative en faveur des actions.


    Quand le point de rupture sera-t-il atteint ?

    Comme nous l'avons montré, un certain nombre de facteurs influencent la relation entre les taux d'intérêt, l'inflation et les marchés d’actions. À notre avis, les plus importants d’entre eux sont :

    1. Le régime inflation/politique monétaire : durant la période de « grande inflation », la corrélation actions/taux était négative, ce qui signifie qu'une hausse des taux faisait du tort aux marchés actions. Depuis la fin des années 1990, et à mesure que la crédibilité des banques centrales s'est améliorée, les anticipations d'inflation sont devenues plus ancrées, conduisant à une corrélation actions/taux négative.
    2. La position dans le cycle : plus tôt l’on se situe dans le cycle, mieux c’est, car la valorisation – et par conséquent la baisse potentielle des marchés actions – tend à être plus élevée lorsque le cycle économique arrive à maturité. La situation actuelle est assez inhabituelle, car l'économie américaine se trouve déjà à un stade avancé de son cycle, mais la croissance bénéficiaire devrait néanmoins être soutenue par la politique budgétaire expansionniste actuelle au cours des prochains trimestres.
    3. L'origine de la hausse des taux d'intérêt : il peut s’agir des taux réels (qui ont un impact négatif sur les valorisations des actions) ou alors des points morts d'inflation (positif pour les actions). Depuis août 2017, la hausse des taux nominaux est le résultat à parts quasi égales des taux réels et des points morts d'inflation.

    Dans une perspective historique, des rendements UST à 10 ans de 5% ou plus ont été sans conteste négatifs pour les rendements des actions. Cependant, le point de rupture devrait se produire plus tôt dans le cycle, car nous sommes entrés dans une économie dont la croissance potentielle est faible, un processus qui a été amorcé en 2000 (la croissance potentielle a ainsi été divisée par deux, passant de 4% en 2000 à 1,7% aujourd'hui, selon la Federal Reserve of Saint Louis). Nous observons que la corrélation actions/taux devient négative, autrement dit que les taux commencent à nuire aux marchés actions, lorsque les taux réels se rapprochent de la croissance potentielle.

    S’échangeant actuellement entre 0,7 et 0,8%, les taux réels américains à 10 ans se situent toujours bien en deçà de la croissance potentielle américaine (estimée entre 1,6 et 1,8%), ce qui signifie que les taux réels devraient encore gagner 80 points de base avant d’affecter significativement les marchés actions.

    1 Telles que mesurées par le National Bureau of Economic Research des Etats-Unis.
    2 Voir le Bulletin de stratégie d’investissement « Should we fear equity market valuations? » d’octobre 2017.
    3  Selon le modèle d’actualisation des dividendes, P / E = k / (rl+re-g) où P est le cours de l’action, E les bénéfices futurs attendus , k le ratio de distribution, rl le taux réel sans risque à long terme, re la prime de risque et g le taux de croissance potentielle.

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