perspectives d’investissement

    Obligations et devises émergentes : des opportunités dans les stratégies de portage

    Obligations et devises émergentes : des opportunités dans les stratégies de portage
    Stéphane Monier - Chief Investment Officer<br/> Lombard Odier Private Bank

    Stéphane Monier

    Chief Investment Officer
    Lombard Odier Private Bank

    Les devises et les obligations des marchés émergents ont débuté l’année 2019 par un rebond. Les devises émergentes ont gagné en moyenne 0,7% par rapport au dollar américain (USD) depuis le début de l’année, tandis que l’indice MSCI Emerging Market Index a bondi de 7,3% au cours de la même période.

    Après un dernier trimestre 2018 difficile, les marchés sont repartis à la hausse suite à l’annonce faite par la Réserve fédérale américaine (Fed) le 30 janvier d’une pause dans son cycle de resserrement monétaire. Le risque d’une récession américaine provoquée par une erreur de politique monétaire s’en est ainsi trouvé réduit, et les actifs risqués ont réagi de manière positive. Les stratégies de portage1 devraient dès lors profiter dans un contexte de suspension de la normalisation des taux d’intérêt et de ralentissement de la croissance mondiale. Par ailleurs, la décision de la Fed s’inscrit dans une tendance plus large d’assouplissement des politiques des banques centrales, ce qui diminue d’autant les risques de vente massive et soudaine de devises émergentes.

    Les stratégies de portage devraient dès lors profiter dans un contexte de suspension de la normalisation des taux d’intérêt et de ralentissement de la croissance mondiale.

    Les investisseurs sont à l’affût de signes indiquant que l’économie américaine pourrait se diriger vers une récession, à un moment où la Fed ne dispose pas des leviers de politique monétaire nécessaires pour la combattre, les taux d’intérêt étant déjà très bas. Une enquête menée la semaine dernière par Bank of America Merrill Lynch auprès de gérants de fonds a révélé que les positions nettes de trésorerie étaient surpondérées et à leur plus haut niveau depuis dix ans. De surcroît, l’allocation globale sur les actions est tombée à son plus bas niveau depuis septembre 2016. Un sondage réalisé par Reuters auprès de 110 économistes la semaine dernière a conclu que ces derniers évaluaient à 25% la probabilité d’une récession aux États-Unis cette année. Étant donné que les effets des mesures de relance budgétaire sont appelés à s’estomper dans les mois qui viennent, la pause observée par la Fed constitue une stratégie judicieuse dans le contexte de resserrement des taux d’intérêt, car elle contribue à laisser l’économie mondiale « atterrir en douceur ».

    « Nous sommes de toute évidence en moins bonne posture » pour faire face à une autre récession par rapport à 2008, a déclaré l’économiste Paul Krugman, lauréat du prix Nobel, à Bloomberg News la semaine dernière. Il y a dix ans, il était possible de réduire les taux d’intérêt et la dette publique était plus faible, a précisé le professeur Krugman. « Et nous avons abordé la dernière crise avec à notre tête des dirigeants assez remarquables... Soyons clairs, notre actuel secrétaire au Trésor n’est pas Hank Paulson. »

    À court terme, le différend commercial entre les États-Unis et la Chine constitue la principale menace identifiée par les investisseurs et les économistes. Alors que la tension semble retomber avant l’échéance d’une nouvelle augmentation des droits de douane fixée au 1er mars, l’évolution de la situation reste difficile à prévoir car la volonté des États-Unis de parvenir à un compromis dépend entièrement du président américain, dont l’approche recueille un soutien limité de la part de sa base politique et de son parti. Nous restons toutefois optimistes quant à la conclusion d’un accord sur un report de l’échéance de mars et pensons qu’une hausse immédiate des taxes à l’importation sera donc évitée. Dans un tel cas, les marchés mondiaux se montreraient plus positifs quant aux perspectives de croissance mondiale.


    Quelles conséquences pour notre stratégie d’investissement?

    Dans cet environnement, nous avons décidé de poursuivre notre stratégie de réduction progressive de l’exposition aux actifs risqués de nos portefeuilles. Plus précisément, nous pensons que les actions émergentes ne sont plus bon marché (voir graphique 1). L’indice MSCI Emerging Markets Index a progressé de plus de 7,3% depuis le début de l’année alors que les prévisions de croissance bénéficiaire s’établissent à 6% pour 2019. Notre valeur cible fondamentale ayant été atteinte, nous avons soldé notre surpondération sur les actions émergentes, mise en place début décembre 2018, et basculé l’exposition au risque des marchés émergents de la poche actions vers la dette en devise locale.


    Nous pensons que les actions émergentes ne sont plus bon marché.

    Privilégier les obligations et les devises émergentes

    Tant que l’économie mondiale ne ralentit pas plus fortement que prévu, les obligations émergentes et les devises émergentes à haut rendement bénéficieront de la recherche de rendement. La dette émergente libellée en devise locale tirera parti de politiques plus accommodantes de la part des banques centrales, l’inflation demeurant modérée et la pression réduite à la suite de la pause marquée par la Fed.

    …, les obligations émergentes et les devises émergentes à haut rendement bénéficieront de la recherche de rendement.

    Les devises émergentes ont également bien performé par rapport à l’USD (voir graphique 2) et nous maintenons notre vision baissière pour le billet vert en 2019. Nous prévoyons que l’importance du double déficit américain, conjuguée à la réduction du différentiel de taux d’intérêt du pays par rapport à ceux du reste du monde, se traduira par des primes de risque plus élevées aux États-Unis.

    Les devises émergentes à haut rendement bénéficieront effectivement de la recherche de rendement. Nous sommes notamment optimistes quant au real brésilien, au rouble russe et, dans une certaine mesure, au peso mexicain. Au Brésil, des réformes structurelles sont nécessaires pour maintenir la solvabilité et soutenir la reprise récente de la croissance. Même s’il ne s’agira pas d’un tournant facile à prendre en raison de l’opposition politique, nous pensons que l’administration Bolsonaro tiendra la plupart des promesses. Le real brésilien n’a pas encore reflété ces évolutions positives potentielles, qui sont susceptibles d’attirer des flux importants, même si le marché actions local les a pour sa part déjà intégrées.

    Nous sommes notamment optimistes quant au real brésilien, au rouble russe et, dans une certaine mesure, au peso mexicain.

    Entre-temps, la banque centrale russe a réussi à maîtriser l’inflation du pays, qui est passée de 16,9% en 2015 à 5% le mois dernier. La combinaison de taux réels positifs, d’une banque centrale luttant de façon crédible contre l’inflation et de la hausse des prix du pétrole devrait également soutenir le rouble.

    Enfin, rappelons que le peso mexicain est traditionnellement un bon indicateur de l’évolution des devises émergentes puisqu’il s’agit de l’une des plus liquides parmi ces dernières. Bien que des risques idiosyncratiques existent, la devise mexicaine offre des taux d’intérêt élevés alors que l’inflation ralentit. Dès lors, le peso devrait tirer profit d’un environnement où les flux d’investissement se dirigent vers les actifs à rendement plus élevé.

    Le peso mexicain est traditionnellement un bon indicateur de l’évolution des devises émergentes.

    Des opportunités à court terme

    Comme évoqué ci-dessus, nous continuons de poursuivre une stratégie de réduction des risques progressive et opportuniste. Suite à la pause décidée par la Fed, la proposition de valeur relative et absolue de plusieurs classes d’actifs a changé ; ce qui nous a incités à modifier l’exposition aux actifs émergents au profit des obligations libellées en devise locale, afin de générer de meilleurs rendements à court terme et de réduire l’exposition globale au risque de nos portefeuilles. Les menaces pesant sur les perspectives globales n’ont cependant pas changé: le cycle américain entre dans sa dernière phase et la croissance mondiale ralentit. Par conséquent, les investisseurs prudents doivent continuer à équilibrer judicieusement le rapport risque/rendement alors que la fin du cycle actuel approche.

    Les menaces pesant sur les perspectives globales n’ont cependant pas changé: le cycle américain entre dans sa dernière phase et la croissance mondiale ralentit.

     

    1 Stratégies de portage (carry trade) : emprunter à faibles taux d’intérêt pour investir dans des actifs à haut rendement)

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