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    L’importance de l’actualisation pour évaluer l’avenir

    L’importance de l’actualisation pour évaluer l’avenir
    Dimitri Zenghelis - Project Leader, The Wealth Economy, Bennett Institute, University of Cambridge

    Dimitri Zenghelis

    Project Leader, The Wealth Economy, Bennett Institute, University of Cambridge

    Toute personne qui a dû évaluer des projets d’infrastructure – des investissements qui livrent un rendement sur de nombreuses années, voire des décennies – ou gérer sa propre épargne, sait à quel point l’actualisation est un paramètre important.

    L’actualisation consiste à ramener à une date unique des grandeurs monétaires ou monétarisées qui s’échelonnent dans le temps. Le taux d’actualisation mesure la réduction d’une année à l’autre. Une mauvaise actualisation de transformations incertaines à grande échelle peut engendrer des risques dangereux, sérieusement désavantager les plus pauvres, mais aussi discriminer les générations futures. Pour illustrer mon propos, j’utilise l’approche du rapport Stern daté de 2008 sur l'économie du changement climatique, dont je suis l’un des auteurs.

    L’actualisation consiste à ramener à une date unique des grandeurs monétaires ou monétarisées qui s’échelonnent dans le temps. Le taux d’actualisation mesure la réduction d’une année à l’autre.

    Le rapport Stern a appliqué le cadre du taux d’actualisation social de F. Ramsey pour évaluer les risques futurs associés aux changements climatiques impossibles à maîtriser. C’est un ouvrage de référence en économie, bien qu’il ait fait l’objet de nombreux abus.


    Ne pas s’acharner sur les pauvres....

    Frank Ramsey a identifié deux raisons pour lesquelles les économistes et les philosophes appliquent un taux d’actualisation au revenu futur de la société. La première est simple. Les coûts futurs sont « actualisés » parce que les générations futures seront plus riches et mieux à même de les acquitter. Cela reflète l’utilité marginale décroissante des biens de consommation : la perte d’un dollar est plus importante pour une personne qui a faim que pour un milliardaire. L’argument est donc le suivant : comme les générations futures seront plus riches, elles devraient avoir moins de prérogatives sur les ressources actuelles que les personnes plus pauvres aujourd’hui. En d’autres termes, c’est une logique utilitariste de redistribution reposant sur le principe qu’un dollar procure moins de bonheur aux riches qu’aux pauvres.


    ...et ne pas discriminer les générations futures

    Le temps qui passe est la deuxième raison pour laquelle F. Ramsey actualise les coûts futurs. C’est ce que l’on appelle le taux de préférence pure pour le présent (ou taux pur de préférence temporelle). Cette notion reflète l’impatience individuelle. Quelle que soit la manière dont ils s’imaginent à l’avenir – plus riches ou plus pauvres –, la plupart des gens préfèrent savourer des biens de consommation tels que de la confiture aujourd’hui que demain, d’autant qu’ils s’attendent à mourir à un moment donné ; il est donc logique d’actualiser considérablement l’avenir à titre individuel.

    Pourquoi devrions-nous traiter le bien-être des générations actuelles de manière équitable, mais appliquer un traitement différent au bien-être des générations qui naîtront l’an prochain, ou l’année d’après ? 

    Il n’empêche que le changement climatique est un problème social qui s’inscrit dans un horizon temporel si long qu’il serait inapproprié de déterminer la politique en se fondant sur une vision personnelle des choses biaisée par une optique de court terme. Pourquoi devrions-nous traiter le bien-être des générations actuelles de manière équitable, mais appliquer un traitement différent au bien-être des générations qui naîtront l’an prochain, ou l’année d’après ?

    Les économistes ont leur propre vision des choses : Pigou, Solow, Keynes et Sen ont tous rejeté l’actualisation selon la préférence pure pour le présent, estimant que cela était arbitraire et n’avait aucun fondement éthique pour justifier des décisions de politiques publiques à long terme. F. Ramsey est du reste celui qui l’a le mieux résumé, décrivant cette préférence pour le présent comme une « pratique éthiquement indéfendable qui doit tout à une faiblesse de l’imagination ».

    Pourtant, certains économistes, comme William Nordhaus, colauréat du prix Nobel d’économie en 2018, pensent le contraire. Selon lui, le changement climatique ne nécessite qu’une action modeste aujourd’hui, et une réponse plus importante dans les décennies à venir. Cela s’explique en partie par le fait que W. Nordhaus a fondé ses taux d’actualisation (corrigés de l’inflation) sur des observations dérivées des taux d’intérêt du marché qui étaient « compris entre 3 et 6% par an ». La valeur de l’action pour préserver les générations futures est automatiquement réduite : un taux d’actualisation de 5% revient à dire qu’une seule vie humaine aujourd’hui en vaudrait 130 dans un siècle. Un pari très osé !

    Pourtant certains économistes soutiennent que le changement climatique ne nécessite qu’une action modeste aujourd’hui, et une réponse plus importante dans les décennies à venir.

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    Mais il semble injuste, et est injuste. En un siècle de littérature économique, de Marshall et Pigou à Arrow et Mirrlees, il a été reconnu que l’emploi des taux du marché pour calculer les préférences sociales n’était pas approprié. Sauf circonstances invraisemblables, notamment en cas de représentation de tous les consommateurs d’aujourd’hui et de demain. Les décisions prises par des personnes habitant aujourd’hui notre planète ne devraient pas dicter une politique sociale qui affectera des milliards d’existences qui n’ont pas encore voix au chapitre sur les marchés.

    Les décisions prises par des personnes habitant aujourd’hui notre planète ne devraient pas dicter une politique sociale qui affectera des milliards d’existences qui n’ont pas encore voix au chapitre sur les marchés.

    Un avenir parfait

    Alors, comment le rapport Stern a-t-il appliqué l’outil de F. Ramsey ? Pour le premier élément de l’approche, nous avons tenu compte d’une utilité marginale plus faible à un taux de 1% pour chaque pourcent de consommation supplémentaire, une hypothèse relativement courante. Mais la chose la plus importante à retenir, c’est que la détérioration du climat change la face du monde et, de ce fait, impacte le taux d’actualisation, et que l’incertitude est l’une des caractéristiques clés des sciences du climat.

    La détérioration du climat change la face du monde et, de ce fait, impacte le taux d’actualisation, et l’incertitude est l’une des caractéristiques clés des sciences du climat.

    Ainsi, nous avons réalisé 1000 projections reflétant cette incertitude en climatologie et généré 1000 taux d’actualisation correspondants (il n’y a pas de « taux d’actualisation Stern » unique). Dans certains scénarios prévisionnels, les gens sont devenus plus riches, mais dans d’autres, des événements catastrophiques ont entraîné une actualisation négative se traduisant par un accroissement de la pauvreté à l’avenir.

    S'agissant du deuxième élément, l’impatience, nous avons convenu qu’il n’y avait aucune raison éthique d’établir une discrimination sur la base de la date de naissance. D’un point de vue social objectif, les personnes éloignées dans le temps ne sont pas moins méritantes que les personnes éloignées sur le plan spatial. Cela dit, nous avons pris en compte les risques existentiels qui font qu’il n’y aura peut-être pas du tout de générations futures et qu’il n’est donc pas approprié de les évaluer au même titre que la génération actuelle (si l’humanité est anéantie par des chutes d’astéroïdes ou une guerre nucléaire, par exemple). A cet effet, nous avons appliqué un taux d’actualisation de 0,1% (ce qui n’est pas négligeable puisqu’il implique une probabilité d’un sur dix de ne pas passer le siècle et explique pourquoi nous pouvons éviter le problème d'évaluer les conséquences de chaque décision de la même manière pour les années futures infinies). 

    D’un point de vue social objectif, les personnes éloignées dans le temps ne sont pas moins méritantes que les personnes éloignées sur le plan spatial.

    D’autres approches ont adopté un raisonnement semblable pour obtenir des taux d’actualisation sociaux en « équivalent certain » qui diminuent avec le temps et afin de tenir compte de l’incertitude des résultats futurs, comme le soutiennent Arrow et ses collègues ainsi que Weitzman. Ces approches offrent un autre moyen de saisir le risque et présentent de la même façon un argument solide en faveur d'une action précoce. 

    Les économistes se soucient bel et bien de l’avenir... et il nous incombe de le bâtir.

    Les bons outils

    Nous nous soucions bel et bien de l’avenir et, comme je l’ai déjà dit ici précédemment, il nous incombe de le bâtir. Le cadre de Ramsey en deux étapes est un formidable outil dans la boîte à outils économique. Utilisé à bon escient, il plaide avec force pour une action en faveur du climat et du développement durable.

    Si, au lieu de cela, nous étions partis de l’hypothèse que l’humanité ne se soucie pas de l’avenir, nous aurions écarté la plupart des risques climatiques.

    Si, au lieu de cela, nous étions partis de l’hypothèse que l’humanité ne se soucie pas de l’avenir, nous aurions écarté la plupart des risques climatiques. Comme avec n'importe quel outil puissant, l’actualisation est utile si utilisée de façon appropriée et dangereuse dans le cas contraire. Un peu comme utiliser une tronçonneuse, mais en plus périlleux.

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